Guizhou (3) De la dernière tribu des hommes armés à la mer des chansons

Vie quotidienne à Basha
Nous arrivons à Basha 岜沙, un autre village Miao, au sommet d’une colline, à une dizaine de km de la petite ville de Congjiang. Malgré l’isolement apparent du village, en ces temps de covid, un préposé est là pour nous prendre notre température et vérifier le QR code de notre téléphone. Nous avons l’autorisation d’entrer.

Le village Miao

Nous arrivons depuis les hauteurs du village qui est fait de maisons en bois construites sur les pentes de la colline. Cette atmosphère rurale et champêtre est très surprenante. En effet, les Chinois des campagnes quittent habituellement leurs maisons traditionnelles pour habiter dans des grandes tours d’immeubles en béton et sans âmes. Et en plus de l’architecture, les habitants de Basha ont conservé leurs coutumes et leurs traditions. Il semblerait que rien n’ait bougé depuis des siècles, comme si le village était coincé dans le temps.
Les hommes sont habillés d’un costume qui ressemble à une toile cirée en plastique bleu marine. Ils portent une dague à leur ceinture. Cette dague ne permet en rien de débloquer l’accès à une quête légendaire ou à ouvrir une porte vers un autre monde, elle est simplement utilisée pour une coupe de cheveux à la mode. Tous les hommes se rasent les cheveux, à l'exception de la partie centrale, pour en faire un chignon noué sur la tête. Et ce n’est pas tout. Pour donner encore plus d’effervescence à leur costume, les hommes portent fièrement un fusil antique. D’ailleurs, ils sont parfois appelés « la dernière tribu des hommes armés », car Basha est le dernier endroit en Chine où les civils sont autorisés à avoir une armes à feu. En fait, les hommes de Basha étaient traditionnellement des chasseurs.
Les femmes du village ne se rasent pas les cheveux, mais elles les arrangent également en chignon avec un peigne sur le dessus. Cela est plutôt pratique car le peigne permet de recoiffer une mèche rebelle, déplacé par un courant d’air malvenu.
Avec little Miss Tiny, nous avons passé la journée à déambuler dans les ruelles du village, ce qui était très agréable, car elle est toujours de bonne compagnie. Plus en bas du village, nous sommes restés discuté un moment avec un groupe de femmes. Les plus jeunes savent parler le chinois mandarin, car elles l’apprennent à l’école, ce qui n’est pas le cas de leurs aînées. 
Les femmes de Basha s’occupent notamment de confectionner les habits traditionnels à la main. C’est à partir d’une plante qu’elles font la teinture indigo, puis elles vont tremper les vêtements dans des bains successifs pour donner au final une couleur bleu aux reflets violets aux habits traditionnels. Un mélange de blanc d’œuf va assurer l’imperméabilité au vêtement, et lui donner son aspect brillant.
Pendant que Little Miss Tiny discute mode vestimentaire avec Madame Miao, je fais des photos tout en explorant la vie tout autour. Madame Miao porte son bébé sur le dos pendant qu’elle étend des tissus teintés d’indigo pour les faire sécher au soleil. Il y a plein de bébés tout autour. Certains dorment directement couchés sur l’herbe. D’autres sont placés dans des corbeilles en osier pour éviter qu’ils ne s’échappent.
De là où je suis, j’ai une très belle vue sur le village en face de moi. C’est presque calme. Presque car j’entends une autre Madame Miao qui utilise une machine outil qui martèle sur les tissus bleus aux reflets violets, cela pour les repasser et les assouplir. C’est comme si toute la vie du village était centrée sur la confection de ces vêtements bleus aux reflets violets. Ce sont surtout les femmes qui travaillent. Car les hommes préfèrent papoter entre eux autour d’une table ou parader fièrement avec un fusil antique à l’épaule.
Vue sur les rizières depuis la fenêtre de la chambre de notre auberge à différent moment de la journée
De même, ce sont majoritairement les femmes qui récoltent le riz. A Basha, il peut y avoir deux récoltes de riz par année, mais Madame Miao nous dit que la deuxième récolte est souvent de mauvaise qualité, elle n’est pas toujours ramassée. Mais la récolte principale a lieu en octobre, soit quelques jours avant que nous arrivions. Le riz est ensuite mis à sécher sur des étendages en bois surélevés. A côté, des maisons sur pilotis sont en fait des greniers à riz.
Le soir, c’est la fête sur la place du village. Il y a eu un discours, puis les villageois mangent un espèce de bouillon de viandes d’apparence peu appétissante et boivent de la bière. Nous avons demandé, il s’agit d’une réunion annuelle importante : le chef du village fait le bilan de la gestion et de l’administration de l’année écoulée, les hommes sont invités à présenter leur accomplissement. Mais à la fin de la soirée, les effets de l’alcool se font sentir et les bourrés se font ramener à la maison par leur compagnon.
Nous avons passé la nuit dans une maison typique, en bois, en haut du village. Le matin, à notre réveil, nous profitons d’une très belle vue sur la plaine avec les rizières en terrasses et les nuages de brume éphémères du matin qui disparaissent discrètement. Un bel instant contemplatif et poétique.

Le village Dong

La dernière étape de notre voyage nous emmène à Zhaoxing 肇兴, un village de la minorité Dong.
Les Dong (ou Kam dans leur langue) vivent dans les provinces du Guizhou, du Guangxi et du Hunan, tout comme les Miao dont j’avais introduit la culture lors du dernier article. Le peuple Dong vit dans des villages de montagne isolés dans cette partie de la Chine, ce qui leur a permis de développer et conserver des traditions un peu différentes du reste de la Chine au cours des siècles. Les Dong parlent une langue qui peut paraître étrange et difficile à prononcer pour moi car elle utilise quinze tons différents alors que le chinois mandarin n’en contient que quatre. Leur langue est particulièrement bien adaptée au chant polyphonique traditionnel qui est un réel mode d’expression de ce peuple. Le pays Dong est d’ailleurs surnommé de manière poétique la « mer des chansons ».
Voilà, les Dong c’est un peu pareil que les Miao mais différent. Tout comme les Miao, les Dong sont entrés en conflit avec les chinois Han durant les dynasties Ming puis Qing mais ont aidé les communistes au 20e siècle. Aujourd'hui, de nombreux Dong s'assimilent à la société chinoise et beaucoup s'installent dans les zones urbaines. 
Zhaoxing
Mais le village de Zhaoxing, malgré son orientation maintenant tournée vers le tourisme, conserve de nombreux charmes. Nous déambulons encore une fois avec plaisir dans les ruelles pavées du village qui est lui aussi construit le long d’une rivière.
La rivière est jalonnée de nombreux ponts de la pluie et du vent. A l’extrémité de ces ponts, il y a souvent une tour du tambour. Ces tours, construites sans clous, sont caractéristiques des villages de la minorité Dong. A Zhaoxing, il y en a plusieurs, elles correspondent à différents clans. Elles ont différents noms, il y a Ren (bienveillance), Yi (droiture), Li (courtoisie), Zhi (sagesse) et Xin (fidélité). Elles sont ornées de peintures et de motifs sculptés, des tigres, des dragons, des fleurs de lotus, mais aussi des scènes de danse et de vie quotidienne. Les tours du tambour sont le cœur politique et social du village, ce sont des lieux de convivialité pour discuter, se réchauffer autour du feu en hiver ou prendre le frais à l’ombre pendant l’été. Le soir, de petits groupes peuvent se rassembler autour pour manger et papoter. 
Une tour du tambour, vue depuis notre auberge

Il y a de nombreuses auberges et hôtels à Zhaoxing, il semble que le village est une destination moins populaire que Xijiang où nous étions quelques jours avant, car il y a de la place partout. Nous avons ainsi visité plusieurs chambres, au tarif et confort variés, et nous avons choisi une jolie chambre chez une grand-mère Dong, au centre du village, avec vue sur les toits, un pont et une tour du tambour.
Nous poursuivons notre visite du village. Le riz a déjà été récolté, des madames Dong procèdent au battage et à l’égrenage du riz à la main. D’autres madames Dong répandent et étalent le riz à l’air libre pour le faire sécher. L’ambiance est pour nous tellement différente de celle dont nous avons l’habitude à Shenzhen.
Un peu plus loin, une dame a fait griller des rats. Little Miss Tiny s’en approche l’air dégouté. Le mari nous dit qu’il est allé les chasser ce matin même dans la montagne. Mais en ces temps de covid, la pratique est interdite, le mari trouve donc une parade en nous disant qu’il est interdit de prendre les rats en photos.
Nous grimpons enfin sur une colline pour prendre un peu de hauteur et avoir une vue sur les toits du village. En marchant dans les herbes, des moustiques tentent d’attaquer Little Miss Tiny qui n’aime pas ça. Ici les moustiques sont bien dodus. Les moustiques chinois sont plus intelligents que les moustiques européens, sans doute adaptés à plusieurs millénaires de tapage de mains. A Shenzhen, ils prennent l’ascenseur avec nous pour nous poursuivre jusqu’à l’appartement !
A la nuit tombée, les tours du tambour sont éclairées et les habitants s’installent sur des tabourets en plastique autour de tables pliantes pour le dîner. Nous marchons dans l’obscurité puis nous trouvons un restaurant sympathique et lumineux qui nous propose une cuisine simple, chinoise et locale. Le décor est sobre, en bois, mais chaleureux. C’est notre dernière soirée d’insouciance. Nous prendrons en effet le train le lendemain pour Shenzhen. Il y a une nouvelle ligne de trains rapides, la gare, ouverte depuis quelques années, est à une dizaine de kilomètre de Zhaoxing seulement. Les petits villages du Guizhou ne sont plus maintenant aussi éloignés de la Chine moderne comme autrefois.
C’était en octobre 2020 que nous avions parcouru les routes du Guizhou. A bientôt pour de nouvelles aventures, ailleurs, toujours.

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