Guizhou (2) Le village aux milles maisons

La vue en arrivant à Xijiang
A notre réveil à Langde, la pluie s’est arrêtée mais le fond de l’air est un peu frais. Etant donné que nous incubons toute l’année à Shenzhen où la température est la plupart du temps de 30°C, nous ne sommes pas habitués à cette fraîcheur. Nous poursuivons tout de même notre périple pour aller à Xijiang qui est le plus grand et le plus connu des villages Miao du Guizhou. Du coup, c’est aussi le plus touristique et sans doute le moins authentique de la région, mais c’est malgré tout une très belle place à visiter. Je vous y emmène.

Les Miaos

Xijiang est situé à 87 km de Kaili, aussi surnommé le village aux mille maisons, mais en fait il y en a beaucoup plus. Plus de 95% des habitants appartiennent à l’ethnie Miao.
Les Miaos sont présents dans le sud montagneux de la Chine, c’est un peuple de montagnard. Leur origine, au sein de l’histoire de la Chine, est sujette à débat, ils pourraient provenir du bassin du Fleuve Bleu ou du Fleuve Jaune. Ils pourraient même être les premiers à avoir cultivé le riz en Chine. Repoussés par les guerres contre les Chinois Han, ils ont peu à peu immigré vers le sud et le Guizhou. Ils se sont ainsi disséminés dans des petits villages de montagne, construisant des maisons en bois, utilisant les ressources de la montagne.
De nombreuses rebellions ont entrecoupé leur histoire, au 14e siècle et au 15e siècle, contre la dynastie Ming qui régnait alors. Mais à chaque fois, les Miaos ont été défaits. Des généraux chinois de l’époque auraient toutefois faits défection pour rejoindre le camp des Miao et les aider en leur apprenant à servir de la poudre. Les Miaos ont malgré tout toujours perdu face aux armées chinoises, mais ils sont toujours restés turbulents.
Afin de stabiliser et d’assimiler les zone tribales, l’empereur envoya de nombreux chinois Han s’installer dans ces régions, dans l’actuel Guizhou mais aussi au Yunnan, un peu à la manière de ce qui se passe actuellement au Xinjiang et au Tibet. Bien sûr cela engendra des conflits, car l'immigration chinoise Han obligeait les habitants d'origine à quitter les meilleures terres. Une guerre a donc lieu au Guizhou et au Hunan entre 1795 et 1806, durant la dynastie Qing. Les tensions ethniques, une mauvaise administration, la compétition pour le territoire, engendrent une autre importante révolte contre le pouvoir central qui a lieu entre 1854 et 1873. Les Miaos sont de nouveaux matés et beaucoup d’entre eux émigrent plus vers le sud. Ils se retrouvent maintenant dans les zones montagneuses du nord du Laos, du Vietnam et de la Thaïlande, sous le nom de Hmong.
Miaos défilant à Xijiang
Beaucoup de Miao sont toutefois restés en Chine. Au XXe siècle, ils ont joué un rôle dans la naissance de la République Populaire de Chine en aidant Mao Zedong lors de la longue marche.
Traditionnellement, un chef de village était à la tête de l’organisation politique. Aujourd’hui, le système est bien sûr chapoté par le parti communiste, même si une certaine auto-représentation est permise (on parle de « préfecture autonome »). Les Miaos d’aujourd’hui conservent certaines de leurs traditions tout en s’insérant dans la communauté chinoise. Les jeunes, pour la plupart, quittent les villages pour aller travailler en ville.
Les anciens Miaos vénéraient des esprits de la nature, pratiquaient le culte des ancêtres avec une religion proche du chamanisme. Mais la plupart des Miao d’aujourd’hui n’ont aucune foi religieuse. Je n’ai d’ailleurs vu aucun temple dans tous les villages que nous avons visité. De nombreux festivals égayent toutefois toute l’année qui obéit au calendrier lunaire.
Les habitants des villages sont vêtus le plus souvent d’une tenue traditionnelle colorée, qui est différente en fonction des villages.
Il y a quelques mois, les étrangers au village n’avaient pas l’autorisation d’y pénétrer, en raison de l’épidémie de coco. Mais au mois d’octobre, les touristes étaient de retour.

Xijiang, le village aux mille maisons

Nous arrivons à Xijiang 西江 depuis les hauteurs. Le village est fait de maisons en bois accrochés à flanc de colline, dans une cuvette. Une rivière coule en son centre, enjambée de nombreux ponts du vent et de la pluie. Des rizières en terrasse escaladent les pentes à proximité. Nous restons à contempler le paysage depuis le belvédère. 
L’ensemble de toutes ces maisons proches les une des autres est vraiment magnifique et c’est un réel contraste avec les immeubles en béton habituels en Chine. L’ambiance est à la fois chaleureuse et apaisante mais… néanmoins fraîche. Nous portons tous les deux notre polaire décathlon pour nous réchauffer pendant que nous commençons lentement notre descente vers le centre du village.
Le village est situé dans la vallée, entouré de montagnes qui ont la tête dans les nuages. La brume apporte une ambiance un peu mystérieuse, on dirait qu’il va pleuvoir mais finalement il n’en est rien.
Nous arrivons à la rivière qui coupe le village en deux ; elle s’appelle la rivière Baishui, ce qui signifie « eau blanche ». A proximité, la place principale est très animée et colorée par des visiteurs qui louent des costumes traditionnels le temps d’une journée.
Xijiang et sa rue touristique
Nous poursuivons par la grande rue principale qui est blindée de monde, bordée de commerces, boutiques de souvenirs et de restaurants à destination des touristes. Little Miss Tiny, qui commence à avoir faim, regarde les spécialités locales goulûment. Je freine ses ardeurs gourmandes en lui annonçant que nous allons d’abord monter sur l’autre versant du village afin de trouver un hôtel où dormir. Nous quittons donc la foule afin d’arpenter des petites ruelles en escalier qui serpentent entre les maisons compactes.
Ce côté est beaucoup plus calme. Nous poursuivons l’ascension et nous nous apercevons que de nombreux habitants proposent des chambres pour héberger les visiteurs. Nous en visitons plusieurs. Little Miss Tiny essaie de marchander mais les prix restent plus élevés que l’ordinaire en Chine, Xijiang est une destination prisée. Ils varient aussi en fonction du confort et de la décoration de la chambre. 
Nous choisissons une chambre dans une maison sur les hauteurs du village, nous nous allégeons de nos sacs et nous avons toute la fin de la journée pour errer dans les ruelles de Xijiang.
De nombreux ponts du vent et de la pluie, en bois, enjambent la rivière. Ce sont des ponts piétonniers, ils sont tous très photogéniques. Ils permettent de passer d’une rive à l’autre, mais nous restons au milieu du pont, au milieu du passage, dans cette espace-frontière un peu comme entre deux mondes, et nous regardons à la fois la rivière qui coule sous nos pieds et la vie qui suit son court sur les deux rives.
Au crépuscule, nous allons en bordure du village, dans les rizières et nous marchons sur le chemin le long du système d’irrigation. Le riz de l’année a déjà été récolté mais de jeunes pousses laissent envisager qu’une deuxième récolte aura lieu.
J’essaie de poser mon appareil photo sur une petite butte afin d’avoir un portrait souvenir de nous deux. Litlle Miss Tiny est mi-amusée, mi-inquiète que l’appareil tombe dans l’eau de la rizière. « Tu en est sûr » me dit-elle en français.
Depuis les rizières, nous voyons le village en face de nous, comme un amoncellement de maisons construites de manière anarchique. Le soir, les habitants allument une lumière devant leurs maisons, ce qui donne une atmosphère enchantée. Mais la nuit venue apporte aussi une fraîcheur encore plus vive en ce mois d’octobre. Nous décidons donc de retourner au village afin de se réchauffer dans un restaurant.
Nous choisissons un restaurant à l’étage d’une maison au cœur du village. Toute la décoration intérieure est en bois avec une ambiance chalet. Nous mangeons du poisson cuit dans un bouillon, un peu à la manière d’une fondue chinoise, dans une grande casserole chauffée par le dessous. Nous pouvons aussi cuire nous-mêmes les légumes et les champignons en les incubant un moment dans le bouillon. Nous rigolons bien tout en nous réchauffant et Little Miss Tiny, qui avait faim depuis un moment, se régale en rajoutant un peu de piment.
Retrouver notre auberge dans la nuit n’est pas une épreuve si facile. Les ruelles en escalier du village sont un véritable labyrinthe. J’avais pris des photos des intersections stratégiques pour me repérer et trouver notre chemin dans ce dédale. Je me mets à imaginer avec goguenardise le cas où un touriste bourré erre toute la nuit sans retrouver son gîte. Je suis sûr que cela doit arriver.
Après une nuit reposante sur les hauteurs du village, nous redescendons pendre notre petit-déjeuner dans une gargote. Nous rêvons de croissants et de cafés mais il n’y a que des baozhi cuits à la vapeur et du lait de soja. Le repas ingurgité, nous restons toute la matinée à arpenter le village avant de partir pour une autre destination.
Nous prenons le bus jusqu’à une petite ville, puis je souhaitais me rendre dans un village plus éloigné et peu connu. Bien sûr c’est difficile, le village est perdu dans la montagne et il n’y a pas de bus pour y aller. Nous demandons aux gens autour de la station si quelqu’un irait dans cette direction par hasard, mais sans succès. Little Miss Tiny parvient finalement à trouver un chauffeur grâce à l’application didi sur son téléphone et nous embarquons dans la voiture qui s’élance sur des routes en lacet dans la montagne.

Zengchong, le village perdu dans la montagne

Nous arrivons à Zēngchōng 增冲, un charmant petit village dont les maisons en bois sont blotties les unes contre les autres à l’intérieur d’un méandre d’une rivière.
Zengchong depuis le sommet de la colline
Nous demandons d’abord s’il est possible d’être hébergé quelque par pour la nuit mais nous nous apercevons rapidement que beaucoup d’habitants ne parlent pas le chinois mandarin. Mais un villageois nous indique finalement d’attendre à côté d’une maison en attendant qu’une dame arrive. Pendant ce temps, un autre monsieur très enthousiaste s’approche de nous et commence à nous raconter des histoires. Il est très amical mais parle en postillonnant, sans masque, et je vois que Little Miss Tiny, un peu inquiète, recule de quelques pas. Il semble ivre mais continue à nous tenir causette un bon moment sans que Little Miss Tiny comprenne ce qu’il nous dit car il ne parle pas chinois. 
La dame finie par arriver, elle était en train de travailler dans les rizières voisines. Le monsieur cesse ses bavardages et retourne s’assoir avec sourire sur son banc, puis la dame accepte de nous offrir une chambre pour la nuit. Nous voilà libre de vagabonder autour du village pour le reste de la journée.
L'arrivée à Zengchong
Au centre du village, il y a une place avec un étang rectangulaire au milieu et une tour du tambour à l’extrémité. C’est une architecture caractéristique des villages Dong. La tour est construite en bois, sans clous, ce qui nécessite un certain savoir-faire. La toiture est composée de couche de tuiles superposée. C’est le plus haut monument du village, le centre de l’activité sociale et le lieu de réunion publique. Des bancs sont disposés tout autour d’un bassin à feu au milieu de la tour. Des peintures de dragons, de phénix ou d’autres animaux fantastiques sont représentés sur les charpentes extérieures. Les lushengs, instruments à vent en bambou, sont accrochés sur les poutres en bois. Il y a aussi un piano électrique et des enfants s’amusent à pianoter quelques notes. Quelques journaux sont déposés là et un grand père s’informe des dernières nouvelles. Bref, la tour du tambour semble être à la fois la mini-mairie et la mini-médiathèque du village.
Il y a plein d’enfants qui jouent tout autour de la tour sans que personne ne donne l’impression de s’en soucier. C’est une véritable ambiance de cours de récréation. Certains courent en tout sens, d’autres nourrissent des poissons de l’étang, des garçons lancent des cartes en carton qui pourraient ressembler aux pogs, un téméraire tente d’escalader un muret, une petite fille pleure dans un coin tandis que sa copine essaie de la réconforter. Il y a toutefois des grands-mères assises au porche de leur maison qui gardent un œil distrait sur les activités de tout ce petit monde.
Le théâtre, la tour du tambour et l'étang sur la place centrale du village
En face du village, il y a une colline que nous grimpons et de là haut nous avons une magnifique vue sur les toits des maisons du village, coincées dans le méandre de la rivière. Dans un élan d’enthousiasme et d’exaltation, Little Miss Tiny se met à chanter une chanson.
Nous sortons ensuite du village en longeant la rivière et nous pouvons observer des scènes de vie quotidienne. Nous sommes au mois d’octobre et les villageois pataugent dans la boue pour récolter le riz. De nombreuses femmes portent également leur bébé sur le dos.
Le gérant du petit restaurant où nous avons mangé à midi nous raconte l’histoire et la vie de son village. Les habitants ne sont pas riches, mais ils sont propriétaires de leurs maisons. Entre la culture du riz, les petits jardins potagers et les poules qui courent dans le village, les villageois sont presque autonomes sur le plan alimentaire. Aussi, pour monter dans la hiérarchie sociale, le rêve des jeunes est souvent d’avoir une voiture. C’est la raison pour laquelle de nombreux jeunes quittent le village pour travailler en ville. Ils reviennent au village le weekend ou les jours de fêtes.
Récolte du riz à côté de Zengchong
Le gérant du petit restaurant où nous avons mangé à midi possède une voiture lui aussi. Il sert également de chauffeur pour les villageois désirant descendre dans la petite ville la plus proche pour quelques courses. C’est donc lui qui nous emmènera le lendemain dans un autre village. A suivre…

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