« A l’origine fut la vitesse, le pur mouvement furtif, le « vent-foudre ». Puis le cosmos décéléra, prit consistance et forme, jusqu’aux lenteurs habitables, jusqu’au vivant, jusqu’à vous. » (A. Damasio)
Qui sème le vent récole la tempête
Sans doute avez-vous eu vent du phénomène climatique. Dimanche 19 septembre, nous avons été touchés par une violente tempête. Né dans l’Océan Pacifique et après avoir frappé les Philippines, le typhon Mangkhut a poursuivi sa route en Mer de Chine pour finir par s’engouffrer dans le delta de la rivière des Perles au Guangdong. Ce typhon est considéré comme la plus forte tempête au monde en 2018. Il parait même que des gratte-ciel ont vacillé à Hong Kong.
Le typhon Mangkhut |
Après quelques secondes d’accalmie, les bourrasques reprennent, un violent coup de vent abat la haie d’arbres qui séparent les deux voies de circulation en face de chez nous. Le vent est vivant, colérique, il plie, brise, tout ce qui se met sur son passage. Les panneaux de circulation se couchent dans son sillage, les affiches publicitaires s’arrachent des murs, des plaques de métal tombent de l’immeuble voisin avec vacarme. Malgré tout ce tumulte, des voitures tentent de se frayer un passage entre les débris qui jonchent le sol. Des piétons, pour des raisons qui nous échappent, bravent les éléments. L’un d’eux tient encore son parapluie à la main, inutile, dont il ne reste que le squelette aux tiges désarticulées. Peut être est-ce une nouvelle mode. D’où l’expression « être dans le vent ».
Qui sème le vent récolte la tempête. Des branches ploient sous l’effet du souffle. Une rafale déracine de gros arbres. Leurs troncs robustes et résistants n’ont pas cassé, mais ils se retrouvent couchés sur le flanc, deux d’entre eux coupant la circulation. Le trafic automobile est certes beaucoup moins dense qu’habituellement, mais nous sommes surpris de voir passer de temps à autre une voiture. Elle s’arrête, tente de se faufiler entre les arbres à terre, finalement fait demi-tour.
Le typhon a poursuivi sa route en s’enfonçant à l’intérieur des terres chinoises et en diminuant ainsi d’intensité. A Shenzhen, le vent s’est calmé dans la soirée. Des véhicules oranges, sirènes allumés, parcourent les rues devenues désertes à la nuit tombée, et évaluent les dommages. Autant en emporte le vent. Les œuvres humaines sont fragiles et peuvent être balayés par les forces de la nature.
Toutefois, malgré la violence du vent, même au pic de la tempête, nous n’avons pas eu de coupure d’électricité, ni d’internet ou de téléphone ce qui semble démontrer la stabilité des systèmes chinois. En ville, la plupart des réseaux (électricité, communication, eau) sont enterrés et donc à l’abri de tel phénomène climatique. Probablement que c’était différent à l’extérieur des villes.
Le jour d’après
C’est le lendemain, sur le chemin pour aller au travail, que j’ai observé les dégâts et faits des photos. Tout d’abord, il a fallu enjamber des tuyaux devant la porte de notre appartement. En effet, le vent s’est engouffré dans le couloir et le faux plafond est tombé, laissant apparent le réseau de tubes et tuyaux, telle une sculpture d’art moderne.
Le jour d'après à Shenzhen |
Les gens s’affairent pour aller au travail, en enjambant les obstacles. D'autres sont rassemblés et discutent des dégâts et de leur journée d’hier. Ici une vitrine est cassée et là un arbre a écrasé une voiture garée sur le trottoir. Je passe par-dessus une branche puis chevauche un arrêt de bus. Je fais aussi attention aux débris de glace éparpillés sur le trottoir. Tous les services de la voirie s’activent et s’empressent de nettoyer tout ce bazar. De tous les côtés des tronçonneuses ronronnent. Des gens en orange nettoient et font des tas avec tout ce qu’ils trouvent éparpillés en tout sens. D’autres remplissent de grosses bouettes. L’efficacité du nettoyage est remarquable, mon collègue du labo me parlait de « massive workforce » avec la main d’œuvre illimitée de la Chine. Il est vrai que 24 heures après le passage du typhon, toutes les traces de débris avaient quasiment disparues, la circulation automobile et le réseau de transport public revenues à la normale.
Ce qui me désole, ce sont tous ces arbres couchés à terre. J’aime bien Shenzhen pour ces arbres parfois majestueux qui bordent les rues. Ficus microcarpa, le Chinese banyan, est sans doute mon préféré. Les branches produisent des espèces de lianes, des racines aériennes, qui s’allongent et peuvent atteindre le sol. Malgré tout, certains de ces arbres n’étaient pas assez ancrés, des racines mais pas d’ailes, et, victime du vent, ils se retrouvent plaqués au sol puis découpés en bûche par les tronçonneuses.
Aujourd’hui, la tempête s’est calmée, et nous pouvons aller nous balader dehors le nez au vent.
Mais d’où vient le vent ? Il y a quelques années, j’avais lu un très bon livre de Alain Damasio, La Horde du contrevent, qui décrit l’aventure de 23 femmes et hommes dans un monde balayé par les vents. Ils contrent le vent pendant plusieurs années, traversent de multiples contrées, pour atteindre les confins du monde, l’extrême amont et découvrir l’origine du vent. C’est un livre de science fiction, ou de l’imaginaire, où chaque personnage à son caractère, sa psychologie très bien racontée ainsi que sa relation aux autres, sa quête intérieure et extérieure. Le récit est porté par un souffle et le vent est toujours décrit avec poésie. Alain Damasio est passionné de philosophie, et le vent a évidemment un sens métaphorique et métaphysique. Le vent est le mouvement, le vif, la vie, et le livre décrit une quête et interroge sur le sens de cette quête.
« Le vent se lève, il faut tenter de vivre » dit Paul Valéry. « Nous sommes faits de l’étoffe dont sont tissés les vents » écrit Alain Damasio dans la Horde du contrevent.
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