Des trains pas comme les autres

La foule à la gare de Hangzhou
« Le temps nous égare, Le temps nous étreint. Le temps nous est gare, Le temps nous est train. » dit Jacques Prévert.
En cette période d’été, peut être de vacances ou de voyage pour certain d’entre vous, je voulais écrire un article sur le train.
La vie, c’est un peu comme un voyage en train. On monte, on descend, il y a le train train quotidien, puis il y a des arrêts, des surprises, des incidents. Le train de la vie nous emmène vers des endroits parfois insoupçonnés. D’autre fois, on rate le train, tandis que parfois, il faut le prendre en marche. « Le train de la vie, c'est un petit train, qui va des montagnes de l'ennui aux collines de la joie » dit Gilbert Bécaud. Prendre le train, mais encore faut-il prendre le bon.
L'attente, l'une des gares de Shanghai
Il y a moultes auteurs qui utilise la métaphore du train et son symbolisme. Le train, c’est un lieu qui voyage, il y a une dimension spatiale, mais aussi une dimension temporelle. Le train se dirige vers l’avenir et laisse le passé derrière. A l’intérieur du train, c’est le présent.
Sur le plan plus pragmatique, c’est l’arrivé du chemin de fer qui a rationalisé le temps. En effet, avant l’apparition du train, chacun vivait à son heure locale, qui n’était pas la même à Brest, à Clermont-Ferrand ou à Chambéry. C’était un beau bordel, mais tout le monde s’en foutait. Puis avec l’arrivé du train, en France, au début les gares avaient deux cadrans horaires qui affichaient l’heure de Paris et l’heure locale. C’est au Royaume-Uni que le chemin de fer s’est réglé sur l’heure de Londres pour tout le pays (puis de Greenwich en 1847). Les trains doivent partir et arriver à l’heure exacte et précise, la même pour tous.
A partir de 1880, devant l’immensité de son pays, c’est un canadien qui a préconisé l’adoption des fuseaux horaires. Avec leur immense empire, les britanniques arrivent à imposer ça au monde entier. Phileas Fogg, qui débute son tour du monde en train, en maniaque de l’heure, (alerte spoiler) ne s’était pas rendu compte qu’il avait gagné 24 heures grâce aux décalages horaires.
Les chinois, eux, n’ont qu’un seul fuseau horaire pour tout le pays. D’ailleurs en ce moment, à Shanghai, à 4h du mat, il fait déjà jour !
En route mauvaise troupe
Mais il y a d’autres symbolismes liés au train. Il évoque la destinée commune. Le train mène vers une nouvelle destination, mais le chemin se fait en groupe.
Le train évoque aussi le changement, c’est aller ailleurs, parfois pour prendre un nouveau départ, parfois pour changer de direction.
Le train comme métaphore de la condition humaine est aussi retrouvé dans le film coréen inspiré de la bd française Snowpiercer. Emile Zola était lui aussi fasciné par ce mode transport, les gares, les aiguillages, les réseaux, les voies qui convergent. Son roman, la Bête humaine, met en scène le monde ferroviaire. La circulation des trains est comparée à la circulation du sang, le réseau ferroviaire est comparé à l’hérédité, sous forme d’arbre généalogique.
Le train, c’est le début du voyage. C’est le départ, pour moi, qui commence souvent à Pont de Beauvoisin. Un peu plus à l’ouest, il symbolise la conquête de l’Ouest, la nouvelle frontière.
Le train c’est aussi le départ vers un autre monde, comme Harry Potter qui quitte Londres avec le Poudlard Express pour rejoindre l’école de magie et tout ce qu’il y a de merveilleux. Dans la série Westworld, les personnages passent aussi de la « vie normale » pour rejoindre le parc d’attraction par l’intermédiaire d’un train. Le train, c’est comme un sas pour aller d’un monde à un autre. A l’inverse, dans le Voyage de Chihiro (sans doute mon film préféré de Miyazaki), c’est à la fin du film que Chihiro prend le train, après ses aventures extraordinaires elle retourne dans le monde « normal ». C’est un aller simple, il n’y a pas de retour possible. Le train est ici aussi une allégorie de la vie, il n’y a pas de retour en arrière. Le train symbolise également pour Chihiro le passage de l’enfance à la vie adulte.
Mais le train, c’est donc aussi pour revenir. Après l’école, quai A, voie 4, et je rentre à la maison. Le train, c’est l’arrivée. L'Arrivée d'un train en gare de La Ciotat, réalisé par Louis Lumière en 1895, c’est peut-être même le début de l'histoire du cinéma.
Et puis il y a la gare, c’est le lieu de départ et le lieu d’arrivé. Dans la gare, on peut choisir sa destination. Quel itinéraire prendre ? C’est l’heure du choix.
Les gares sont des lieux de passage, mais aussi des lieux de vie. A la gare, j’attends mon train, et je peux observer mes voisins. Chacun à son histoire. Il y a ceux qui vont au travail, ceux qui partent en vacances, ceux qui rentrent chez eux, il y a ceux qui se retrouvent, et ceux qui se quittent, il y a ceux qui lisent et ceux qui chatent sur wechat. Il y en a qui sont tout seul, d’autres en couple ou en famille. Là bas, il y en a un qui dort, et plus loin, une qui fait les cent pas. Il y a des pressés et des nonchalants, des souriants et des rêveurs, il y en a qui cherchent sur quel quai aller, et il y a ceux qui se trompent et ceux qui tirent une grosse valise à roulette, rose, verte pomme ou même jaune.
C’est avec entrain que je vais maintenant vous présenter le réseau ferroviaire chinois.
A l’échelle du pays, c’est le réseau de tous les records. Réminiscence historique, en chinois le train se dit 火车 huǒchē, littéralement le véhicule de feu.
En 2017, le réseau compte 122 000 km de voies ferrées, c’est un tiers de la distance terre-lune. Il y a 20 000 km de voies rapides tgv, en fait, la plupart des voies de train rapides du monde se trouvent aujourd’hui en Chine. Et toujours aujourd’hui, le réseau ne cesse de s’étendre. Le gouvernement chinois prévoit 38 000 km de ligne tgv pour 2025, l’équivalent du tour du monde au niveau de l’équateur.
A la fois en matière de transport de passagers et en matière de transport de fret, le réseau chinois est le plus important au monde. L’équivalent de la SNCF est une entreprise public, la CRC-China Railway Corporation, plusieurs millions de personnes travaillant pour la compagnie, c’est l’une des entreprises les plus importantes au monde.
Après avoir été confiné par le maoïsme, le peuple chinois à soif de voyage. Le train est le moyen de locomotion le plus populaire. Pour ma part, je l’utilise souvent, autant pour aller visiter d’autres provinces, que pour aller voir des amis à Hangzhou ou à Beijing.
Dans les grandes villes, les gares chinoises sont énormes, elles ressemblent à des aéroports. Construites en béton gris dans le style communiste, elles ne sont pas très avenantes, mais aujourd’hui il y a aussi des gares toutes neuves, d’architecture moderne, de verre, de fer et d’acier. Mais pour y entrer, il faut montrer patte blanche et passer au détecteur de métaux.
Prendre son billet au guichet
Il y a de nombreux guichets, mais pour les atteindre, il faut faire preuve de patience. Il y a de longues files d’attente. En général, il y a des barres métalliques qui permettent de canaliser le flot d’humains sous forme de file, même si certains tentent de passer, dans le calme et la nonchalance, par les côtés. Sinon, la file serait plutôt sous forme d’amas compacte, ce qui complique un peu l’arrivé au guichet. Il faut savoir s’imposer, jouer des coudes, mais tout ça sans s’énerver, tranquillement, avec lenteur et vivacité, la force tranquille, une histoire d’oxymore ou de yin et de yang.
Pas très pratique et très long pour obtenir son billet, condition sine qua non pour accéder au train. Il existe maintenant une application pour réserver son billet de train à l’avance avec le smartphone. Il faut avoir quelques notions de lecture du chinois pour l'utiliser. Mais pas très pratique, il faut malgré tout aller à la gare pour récupérer son billet. A la gare c'est aussi une belle opportunité pour pratiquer son chinois, les sous-titres étant plutôt rare. Une erreur de débutant : faire une heure de queue pour acheter un billet dans un guichet qui ne vend pas de billets, mais fait seulement des échanges ou remboursement.
Il existe une autre possibilité pour obtenir le fameux ticket : il y a de petit bureau local pour acheter son billet. Il y en a un pas très loin de chez moi, le préposé me connaît bien. Je lui écris mon programme, ma destination en caractères chinois, l’heure de départ et le numéro du train, il interroge son ordinateur avec le sourire, il me demande mon passeport car il doit écrire mon nom sur le billet. C’est la période la plus longue du processus, il écrit mon sur son clavier d’ordinateur, en tapant les lettres une par une, en vérifiant à chaque fois, puis en vérifiant encore, puis il passe à la lettre suivante. Mon nom semble trop compliqué et trop long. Quand j’étais à Pékin, le préposé me demandait même que j’aille le rejoindre, derrière son guichet, il fallait que je passe par une petite trappe, cela afin d’écrire mon nom par moi-même.
A la gare, je ne peux pas descendre sur le quai plus de 10 minutes avant l’arrivée du train. Il faut passer un portillon et montrer son ticket pour pouvoir accéder au quai. Ainsi je ne peux pas me faire accompagner, c’est vraiment triste, il n’y a pas d’au revoir possible, en agitant la main à travers la vitre du train.
Le portillon pour accéder au quai
Il existe deux types de trains.
Les trains « normaux », avec des wagons verts décorés d’un liseret jaune, sont plus ou moins rapides, plus ou moins lents, en fonction du trajet ou de la ligne. Il est possible de choisir de voyager assis, sur des banquettes bleues, dans des wagons toujours remplis de voyageurs, généralement bruyant, entre les enfants qui s’énervent, qui font du tapage, les groupes qui jouent aux cartes, ceux qui discutent bruyamment, ceux qui mangent des nouilles ou des graines de tournesol, cric crac, il y a ceux qui écoutent de la musique avec leurs petits appareils de radio portatifs au son de mauvaise qualité, il y a ceux qui vont voir la capitale pour la première fois, ceux qui retournent à la maison voir leur famille après un an d’absence. Mais c’est dans ce type de train que je peux parfois faire des rencontres ou attiser la curiosité avec mon long nez.
Il y a au moins un, ou une, préposé-e par wagon, qui contrôle les billets, fait le ménage, vérifie régulièrement si tout se passe bien. Chaque wagon est équipé d’eau très chaude, gratuite, pour préparer son thé ou des nouilles instantanées.
Dans ces mêmes trains, il est possible de voyager dans les wagons couchettes, il est possible de choisir entre les « hard sleep » avec des compartiments de six couchettes, et les « soft sleep » avec des compartiments de quatre couchettes. Plus de place donc, mais malgré le nom soft ou hard, les couchettes sont équivalentes en terme de confort. Il est également possible de choisir la couchette, haute, basse ou bien celle du milieu. La plus haute est la moins cher.
Le deuxième type de train, avec leurs formes aérodynamiques, ce sont les trains à grande vitesse, de couleur blanche. Plus confortable et moins cher que les tgv français, le trajet ressemble toutefois à un voyage que l’on ferait en Europe. Plus calme, à l’intérieur on ne se parle pas, chacun mène sa petite vie avec son ordinateur, son téléphone ou son livre, jusqu’à sa destination.
Autre particularité de ce train, les sièges sont tous dans le sens de la marche. Mais par un mouvement de rotation, il est possible de les retourner, pour ceux qui viennent en famille ou entres amis, pour papoter ou jouer aux cartes par exemple. Le train arrive à Hangzhou en provenance de Shanghai, puis il doit retourner à Shanghai. Pas de problème, avant le départ du train, le contrôleur du wagon va faire pivoter tous les sièges, pour les mettre dans le bon sens. « Le bon sens est la chose la mieux partagée du monde » disait déjà Descartes. Non, j’ai rien compris ?
Trains à grande vitesse stationnés en gare
A titre d’exemple, pour faire les 1320 km de trajet entre Shanghai et Beijing, le train à grande vitesse peut parcourir cette distance en 4h49 min pour le plus rapide et 6h02 min pour ceux qui s’arrêtent à toutes les gares le long du trajet. Le train de nuit, en wagon couchette, parcourera cette même distance en 11h52 min, tandis que le train le plus lent, très peu cher, fera ce même voyage en 22h28 min.
Voilà, il faut aussi savoir qu’en Chine, à la différence de l’Europe ou de la l’Inde, la ponctualité est exemplaire, les trains partent à l’heure exacte et arrivent à l’heure exacte à destination, même après un trajet de 36 heures.
La carte suivante montre le réseau de chemin de fer chinois en 2010.
De nouvelles lignes sont en construction, d’autres sont rénovées. La Chine souhaite aussi s’exporter à l’étranger avec son model de soft power. Relier Kunming à Vientiane au Laos, puis à l’Asie du Sud Est. La nouvelle route de la Soie (One Belt One Road) est un projet permettant de relier la Chine à l’Europe. D’autres projets pharaoniques sont envisagés tel que relier les montagnes du Tibet au désert du Xinjiang, relier Lhassa à Katmandou au Népal, puis au réseau indien.
Pour son côté rétro, j’ai trouvé une émission sur la Chine, des trains pas comme les autres, l’original, qui date de 1992. Les trains ne sont plus les mêmes, effectivement la Chine a bien changée depuis cette époque. Mais comme le dirait Héraclite, le Bouddha ou Darwin, « la seule permanence, c’est le changement ».
Le train de la mort, le train de l'amour, une chanson de Mano Solo pour conclure.
Il ne me reste plus qu’à vous souhaiter bon voyage.
Une gare de Shanghai

Commentaires

mamie a dit…
merci pour cet exposé tu vaux largement les commentaires diffusés sur F5 dans "Des trains pas comme les autres""Ce soir on en regarde un on pensera à toi bisous
Plus jeune, déjà tu prennais en photo les gares qui te voyaient partir ou arriver