Le jour où j’ai vu des moutons bleus et mangé du yaourt de yak : Gansu (4)

Ma préférée : prairie du Qinghai
Au point où j’en suis, j’avais la possibilité de poursuivre la route plus au nord ouest, le long de la route de la soie jusqu’à Dunhuang, une oasis dans le désert. Mais j’avais également très envie d’aller voir un peu dans le Qinghai afin d’avoir une autre expérience.
Le Qinghai (青海), c’est une grosse province, plus grande que la France, mais avec seulement 5,6 millions d’habitants. C’est une terre de différentes cultures, car si les Hans (chinois) composent 55% de la population, 23% des habitants sont des Tibétains, et 16% sont des Huis, musulmans. Les autres minorités sont les Tu, les Salars et les Mongols. Un patchwork culturel.
La carte avec le Gansu (甘肃), le Qinghai (青海) et les villes où je suis allé
Le Qinghai actuel correspond à l’Amdo, l'une des trois provinces ou régions traditionnelles du Tibet. Au cours de l’histoire, la région a été contrôlé par le Tibet, la Chine, les Mongols ou dirigée par des rois indépendants, bref un beau bordel. Au XXe siècle, avant 1950, la région était gouvernée par des chefs locaux, vaguement contrôlée par le Tibet et vaguement contrôlée par la Chine. Avec la création de la République populaire de Chine en 1949, puis l’invasion du Tibet en 1950, la région devient pleinement chinoise.
Prairie au Qinghai
Le Qinghai est une région de haut plateau, constituée majoritairement de prairies ou peuvent paître paisiblement des troupeaux de moutons et de yaks. Il y a aussi un grand lac, le plus grand en Chine, mais je n’y suis pas allé. La météo du coin est très sec. Pour me rendre dans la région, j’ai pris le train depuis Jiayuguan jusqu’à Xining, une grosse ville, la capitale, située à 2275 mètres d’altitude. Les yeux à la fenêtre, les paysages défilent, d’abord les régions désolées du Gansu, puis les prairies du Qinghai. Les prairies, telle une peinture impressionniste, sont parsemées de tâches, des points jaunes, les fleurs, des points noirs, les yaks, puis les moutons, des rouges, des bleus, c’est un peu rigolo. De fil en aiguille, je pourrai presque me confectionner un pull.
Je ne suis pas resté à Xining, j’ai pris directement le bus pour aller à Tongren (同仁). Il faut environ 4 heures de bus pour rejoindre Tongren, sur des routes un peu chaotiques, mais qui longent de jolis panoramas. Et je vais être franc, j’ai adoré cette place.
Tongren
Une fois arrivé à Tongren, je devais trouver un endroit où dormir, et ce n’est pas si facile, la plupart des hôtels n’accepte pas les étrangers. Après moult tentatives, j’en ai trouvé un qui, pour contourner le problème, ne m’a pas demandé mon numéro de passeport. Pas enregistré, c’est comme si je n’étais jamais venu.
Il est déjà plus de 22 heures, mais la vie est encore animée ici. Tout est ouvert, la quincaillerie, le vendeur de légume, le coiffeur. Mais moi, je veux seulement aller manger des nouilles. Je trouve une petite gargote et finalement, j’ai droit à un plat de pommes de terre avec de la viande, vraiment bien cuisiné.
Tongren n’est pas une ville très connue des touristes. En fait la plupart des touristes sont des tibétains qui viennent ici en pèlerinage. Mais ça, c’est ce que je découvrirai demain, car pour l’heure, il est temps d’aller se coucher.
Ambiance au resto avec les Tibétains
Le lendemain, c’est alors que j’étais au milieu du pont, à regarder le paysage, qu’une petite chinoise m’est tombée dessus. Une rencontre imprévue et improbable. Nous bavardons un peu, puis elle me dit qu’elle voyage toute seule et qu’elle veut venir avec moi. En plus, elle ne sait pas où dormir la nuit prochaine, alors je la conduis jusqu’à mon hôtel. Elle se présente comme fengchenpupu (风尘仆仆), mais ce n’est pas son vrai nom. Qu’est ce que cela signifie ? Si j’ai bien compris, c’est peut être un baroudeur, un vagabond, fatigué du voyage, couvert de poussière.
C’est donc avec ma nouvelle amie que je vais visiter la ville. En gros, j’ai eu l’impression que Tongren est divisée en deux parties, la partie chinoise, plus moderne, et la partie tibétaine, moins bien entretenue mais qui a un côté plus authentique. Il y a des petits commerces, des artisans. Ici, ils font de la farine, là c’est de l’huile. Mon amie me dit que lorsqu’elle était plus jeune, à l’école, l’un de ses camarades de classe avait ses parents qui pratiquaient le même métier. Du coup, le pauvre avait l’odeur d’huile sur lui, constamment.
Les boutiques à Tongren
Il y a deux monastères principaux à Tongren. Au Sud, le monastère Longwu a été créé en 1301 et a considérablement été élargi au cours de la dynastie des Ming. Il est dédié à la secte bouddhiste des Bonnets Jaunes, Gelugpa. C’est celui qui est le plus important pour les tibétains, un site sacré. Ils viennent ici faire le tour du temple, dans le bon sens n’est-ce pas, comme au Népal. Et puis ils viennent faire tourner les moulins à prière. A l’intérieur de ceux-ci, il y a des mantras, des formules sacrées. Faire tourner le moulin, c’est libérer la parole sacrée dans les airs, comme si elle était prononcée, c’est libérer l’énergie positive et éloigner la malchance. La rotation, c’est aussi le cycle des renaissances. Les plus motivés font le chemin en se prosternant ou se couchant par terre.
Au milieu de la grande place, il y a une grande statue dorée, qui semble neuve, je pense que c’est Guanyin, la déesse de la compassion, Avalokiteśvara en sanskrit. Là aussi, les tibétains tournent autour, se couchent, se lèvent, se couchent, se lèvent. Tout un cérémoniel.
Mon amie n’est pas timide du tout et assez spontanée. Quand elle veut savoir un truc, elle demande. 说说 shuō shuō, dit elle pour s’introduire. Shuō, ça veut dire parler. Shuō shuō, je  traduirai cela par : excusez moi de vous déranger, on peut discuter un moment, ou bien, je peux vous posez une question. Mais en chinois ils disent cela de façon plus concise. Nous voulions avoir des informations sur les rituels. Et aussi savoir combien de fois ils tournaient autour de la statue, mais ils ne savaient pas.
Il y aurait 500 moines qui vivent ici. L’extérieur des temples est généralement peint en blanc, les toits sont dorés. L’intérieur des temples est magnifique, des statues du Bouddha somptueuses, et d’autres figures monstrueuses ou grotesques qui me rappellent le Népal ou l’Inde. Il y a de splendides peintures et des tapisseries en tissus colorés tout aussi éblouissantes. Malheureusement, il est interdit de prendre des photos à l’intérieur.
A l’intérieur des temples, il y a de nombreuses photos du 14e dalaï-lama devant lesquelles les tibétains viennent se prosterner. J’étais très surpris, car je pensais que son image était interdite en Chine. Il faut dire que le dalaï-lama est né pas très loin d’ici.
L’autre monastère d’intérêt est à une dizaine de km de là, c’est le Wutong Si. Le site est renommé pour l’art tibétain, notamment la réalisation des thangka, ces peintures représentant des divinités, des lamas ou des symboles mystiques. Ce ne sont pas des amateurs mais des vrais artistes qui vivent ici, dans les villages alentours. Certains disent que ce sont les meilleurs. Pour les plus grands tableaux, c'est plusieurs mois, parfois plusieurs années de travail. Il y a des salles d’exposition où l’on peut contempler, examiner, scruter tous les moindres détails. Certaines des peintures sont récentes, d’autres datent de plusieurs siècles. La qualité et la précision des traits est remarquable. J’ai pris plein de photos que vous pouvez vous amuser à agrandir pour apprécier le détail à leur juste titre.
De retour dans les rues commerçantes de Tongeren, je m’achète un yaourt au lait de yak. C’était un peu mon rituel, au petit déjeuner et le soir, ces yaourts sont supers bons. C’est difficile de trouver de bons yaourts en Chine, ils sont trop liquides. Ici, dans le Qinghai, j’ai trouvé mon bonheur. Le yaourt est plus dense, du fait, si on retourne le pot, le yaourt ne tombera pas. Sur le dessus, il y a une couche de crème jaune et le yaourt à un gout acidulé, je l’aime en rajoutant un peu de sucre. Après ça, nous sommes allé au resto du coin, je ne sais plus ce que nous avons mangé, mais c’était probablement des nouilles.
Le lendemain, nous sommes allés marcher dans les villages autour de Tongren. Ici, les maisons sont faites de terre, de pisé, de torchis et de bois. Elles sont entourées de grands murs. Nous nous promenons dans les ruelles et nous avions vraiment l’impression d’être dans un labyrinthe. Mon amie voulait voir comment c’était à l’intérieur, au-delà du mur et tente de frapper aux portes. Après un premier refus poli, nous voilà invité à prendre le thé chez quelqu’un, à l’improviste. C’est un artiste peintre, il nous montre un tangkha en cours de réalisation et nous offre de la pastèque.
Puis nous revoilà à nous perdre dans les dédales des ruelles. Mon amie discute avec un passant et je perds complètement le contrôle de la situation. Nous voilà maintenant à trois, à califourchon sur une mobylette qui nous emmène sans crier gare vers l’inconnu.
De retour les pieds sur terre, le passant nous dit au revoir et poursuit sa route. Nous voilà maintenant dans les champs. Ici, ils ne cultivent pas le riz, mais c’est plutôt du blé ou quelque chose dans le genre. D’ailleurs, j’ai vu qu’ils vendaient du pain, circulaire, dans le village. Nous grimpons sur la colline. Au sommet, il y a un temple. Mais il est fermé. A côté, des drapeaux de prières colorés, qui dispersent leurs formules mystiques au vent. Je voie une marmotte qui me voie. Elle prend peur et s’enfuie à toute jambe. Dans le ciel, c’est un aigle, ou du moins un rapace, qui tourne, lui aussi, au-dessus du temple. Mon amie est petite, je lui dis que je m’inquiète un peu, l’aigle pourrait la confondre avec une marmotte, l’attraper pour l’emmener dans son nid. Par terre, il y a plein de petits papiers avec un cheval dessiné sur une des faces. Avec le vent, cela fait un joli bruit lorsqu’ils frottent le sol. Certains, plus téméraires, font le grand saut en s’envolant de quelques mètres, en tourbillonnant et cela est du plus bel effet.

Pour compléter la ménagerie, quand nous redescendons, c’est une vache que nous croisons. J’essaie de socialiser avec elle, elle me dit meuh avec un fort accent chinois.
On essaie ensuite de faire du stop pour rentrer à Tongren. C’est un moine qui nous emmène. Lorsqu’il nous dépose, il m’offre un livre, un peu à la manière des témoins de Jéhovah, vous savez. Et comme le livre est entièrement écrit en tibétain, c’est plutôt sympa, voilà mon livre de chevet avant de m’endormir.
Nous revoilà donc à Tongren, il est temps d’aller manger des nouilles. Le soir venu, nous voulions aller sur la grande place, côté ville chinoise, voir s’il y avait des animations. L’aubergiste voulait nous accompagner. Mon amie lui demande qui va tenir l’hôtel pendant ce temps, mais apparemment, il lui a répondu que ce n’était plus l’heure de travailler ! Sur la place, il y a comme un marché de nuit. Il y a également quelques danseurs qui se réunissent. C’est un peu comme la foire. Et par là, des gens lancent des anneaux, les uns après les autres, sur la cible. S’ils entourent la cible, la cible devient leur cadeau, c’est-à-dire une bouteille de pepsi, ou bien un paquet de cigarettes.
Demain, nous partirons pour d’autres contrées, d’autres aventures.
Pour plus de photos, c'est par ici.
A suivre.
Promenade à la campagne
Des peintures murales sur un temple
Dans la rue, à Tongren

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