Le jour où j'ai vu plein de peintures

« La peinture est le métier le plus long et le plus difficile. Il lui faut l'érudition comme au compositeur, mais il lui faut aussi l'exécution comme au violon » selon Delacroix.
Le temps d’un dimanche, nous sommes allés nous trimballer dans le village de peintres de Dafen 大芬 à Shenzhen.

A la fin des années 1980, un marchand de Hong Kong a apporté son commerce au village, engagé des peintres et des étudiants en art, pour la production de copie d’œuvre d’art. Au fur et à mesure des années, le village est devenu un centre de production de renommée mondiale, notamment en produisant des reproductions de chefs d'œuvre d'artistes occidentaux tels que Van Gogh, Monet et Picasso. Les acheteurs pouvaient être des hôtels, des centres de conférences et des collectionneurs privés, à son apogée, le village produisait près de 70% des peintures à l’huile dans le monde. D’après le mythe, c’était un genre de peinture à la chaîne, une logique industrielle appliquée à l’art, un peintre se chargeant de peindre les couleurs du fond, un autre plus doué s’occupait des détails ou des personnages. En réalité, il semble que les peintres travaillaient de manière beaucoup plus artisanale. Aujourd’hui, le village n’a plus rien d’un village puisqu’il fait tout à fait partie de l’agglomération de Shenzhen, c’est juste un quartier, parmi tant d’autres, avec ses grands immeubles.

La crise financière de 2008 a porté un mauvais coup au business du « village » car les exportations ont nettement diminué. Les artistes ont ainsi du s’adapter à la situation. Le marché intérieur a heureusement augmenté dans le même temps. Ainsi, j’ai vu plusieurs artistes en train de peindre des portraits, le visage d’une grand-mère, ou toute une famille réunie, à partir d’une photo. Les exigences en matière d’œuvre d’art ont changé, et les peintres doivent innover et plusieurs créent maintenant des œuvres originales. Certaines œuvres sont un amalgame, une fusion de la peinture chinoise et occidentale, il y a aussi des peintures en relief, très colorés et plutôt kitsch.

C’est une belle expérience de déambuler dans les ruelles du quartier, il y a des salles d’exposition, des galeries d’art et des peintres au travail. Aucun robot n’est ici présent, ce sont de réels humains, avec leur diversité, leur qualité et leur défaut, que nous pouvons rencontrer ici. Des centaines d’artistes vivent dans le quartier et nous pouvons nous trimbaler au milieu des toiles, un pot de fleur en nature morte, un champ de coquelicots de la campagne d'Argenteuil de Monet en bordure de la Grande Muraille de Chine, Bonaparte franchissant le Grand-Saint-Bernard par David, des poissons rouges, une danseuse chinoise à côté de la Cène de Léonard de Vinci, Vincent van Gogh qui côtoie un portrait de Mao. Nous continuons à cheminer dans la poésie et l'étrangeté du quartier. De-ci delà, les sons de tournevis électriques scandent notre marche. Il s'agit des boutiques spécialisées dans la confection des cadres pour tableau. Une autre boutique vend tout le matériel, pinceaux, brosses, palettes, chevalets, toiles et toutes les couleurs nécessaires à la création. Aux murs d'une autre ruelle sont affichées des peintures en miniature. Malgré le fait que ce soit des copies, nous pouvons ressentir l’émotion esthétique à la contemplation d’une peinture, nous nous laissons transporter à travers un paysage. Certes, on peut considérer qu'il ne s'agit que de reproduction sans âme, toutefois, les artistes ont un réel talent, la copie permettant un très bon apprentissage des techniques artistiques. Et moi j’aime bien faire des photos à l’improviste, l’instant poétique du peintre en action.

Le quartier attire un public de tous âges, les enfants comme les adultes peuvent s’installer, contre quelques yuans, ils ont accès une toile vierge, de la peinture à huile, et la quête commence, il s’agit de reproduire une œuvre de son choix. « La peinture, c'est très facile quand vous ne savez pas comment faire. Quand vous le savez, c'est très difficile » aurait dit Edouard Degas. A la fin de la journée, on peut ramener son œuvre à la maison.