Entre septembre et octobre, j’étais bien loin des grands espaces montagneux et naturels, je suis en effet resté pendant un mois à Shenzhen, une petite bourgade de 11 millions d’habitants. Mais je parlerai de cette aventure dans un prochain article, car en octobre, il y a eu quelques jours de vacances, à l’occasion de la fête nationale, et comme l’année dernière à cette époque, je suis allé dans le Jiangxi.
J’ai retrouvé mon amie du Jiangxi, la fille en rose, et nous sommes allés en expédition sur une montagne, le Wugong shan 武功山 (voir la carte). Le Wugong shan, c’est plutôt dans le sud ouest du Jiangxi, alors que mon amie est plutôt dans le nord, et pour s’y rendre, depuis Nanchang, la capitale, il faut faire un trajet de 4 heures de train jusqu’à Pingxiang, où nous avons dormi. Pingxiang est une ville de taille moyenne, mais à l’échelle de la Chine, car il y a plus d’un million d’habitants. Dans la région, il y a des mines, les ressources en minéraux assurant en partie l’économie de la région. Toutefois, l’ambiance est bien différente de celle de Shanghai, nous sommes plus ici dans la Chine profonde, là où je peux parfois, au milieu de la foule, être pris pour un extra terrestre. Bien qu’en pleine croissance, le revenu des habitants doit également être ici bien plus faible que celui des habitants de Shanghai.
Sur la carte, il y a plusieurs chemins possibles |
Nous avons marché pendant trois jours, en gros un jour de monté, un jour de crête et un jour de descente par un autre chemin.
Après quelques kilomètres de marche sur une route de campagne, nous nous faisons poursuivre par des oies puis nous traversons un village et mon amie, la fille en rose, me demande déjà à manger. Malgré ses 40 kg, toute chinoise qu’elle est, j’ai l’impression qu’elle a toujours besoin de manger ! Mais comme il n’y a pas de resto dans le coin, après des discussions avec les villageois auxquelles je n’ai pas pipé mot, nous nous faisons inviter chez une famille qui nous offre du riz et les restants de légumes de la veille. Après ces entremets, nous sommes maintenant fin prêt pour commencer l’ascension.
La montée se fait sur des pentes dans la forêt, sur de vrais chemins en terre et humus, sans escaliers pour une fois, la montagne ne fait parti d’aucun site sacré.
Nous devons parfois faire abstraction des bouteilles en plastique et autres résidus de pique-nique parsemant et polluant le chemin, et nous nous engouffrâmes dans une forêt de bambous plongés dans la brume. La brume, s’enrichissant parfois d’une petite pluie brestoise, ne nous quitta point de la journée.
De temps à autre, la fille en rose me propose une petite collation pour reprendre de l’énergie. Elle a des provisions plein son sac, tels des bonbons à la viande ou des légumes séchés et très épicés.
De temps à autre, la fille en rose me propose une petite collation pour reprendre de l’énergie. Elle a des provisions plein son sac, tels des bonbons à la viande ou des légumes séchés et très épicés.
Nous montâmes jusqu’à la nuit tombée et nous tombâmes sur une baraque construite avec trois bouts de tôles, gardée par un couple de gardien qui nous proposèrent un bol de nouilles instantanées. Après moultes réflexions et discussions pour savoir s’il fallait continuer l’ascension la nuit à la lampe de poche, ou bien dormir dans le cabanon jusqu’au lendemain, nous décidâmes de poursuivre le trajet avec entrain, avant de redescendre au bout de 10 minutes en se disant que la nuit on n’y voit vraiment rien. Nous passâmes ainsi la nuit sous le cabanon en tôles, couchés de façon inconfortable dans nos duvets sur une planche en bois.
Levés de bonne heure le lendemain, nous continuâmes la grimpette et au bout d’un certain temps, nous sortîmes de la brume et de la forêt pour trouver la lumière du jour et des prairies. Les prairies alpines du Wugong Shan sont en effet une caractéristique unique à cette latitude et cette altitude, des graminées à perte de vue, dans un paysage vallonné et verdoyant. Mais ce n’est pas comme la Vanoise, les herbes sont plus hautes, les reliefs plus doux et arrondis. Nous avons passé toute une journée à gambader dans ces herbes, jusqu’à atteindre le Golden Peak à 1918 m d’altitude.
Mais ce qui donne le côté étrange et singulier de la montagne, c’est la brume mystique qui nous entourait la veille et qui maintenant est en-dessous de nous. L’espace d’un instant, des flopées de brume blanche remonte et nous enlace, puis le soleil et la colline en face réapparaissent de nouveau. C’est cette poétique de l’espace qui entraîne à la rêverie et je m’imagine dans les montagnes célestes des estampes chinoises. Toujours mouvante, la brume semble caresser les pentes de la montagne, le paysage, l’espace semble vivant. La fille en rose m’informe que ce phénomène a lieu tout au long de l’année et je me dis que les pauvres habitants de la vallée, un peu plus bas, ne doivent pas voir le soleil de l’année.
Quand le brouillard s’éloigne de nous, le soleil est plutôt fort et la fille en rose met son chapeau et sa chemise blanche, elle a peur de bronzer car ici ce n’est pas vraiment la mode. Nous piqueniquons à l’ombre d’un petit abri pendant que le paysage se meut devant nos yeux.
« La marche nous permet d'aller au-delà d'une conception purement mathématique ou géométrique de l'espace et du temps. L'expérience de la marche permet aussi d'illustrer un certain nombre de paradoxes philosophiques, comme par exemple : l'éternité d'un instant, l'union de l'âme et du corps dans la patience, l'effort et le courage, une solitude peuplée de présences, le vide créateur » dit Frédéric Gros, auteur de Marcher, une philosophie.
Ou bien encore, « La marche, on n'a rien trouvé de mieux pour aller plus lentement. Pour marcher, il faut d'abord deux jambes. Le reste est vain. Aller plus vite ? Alors ne marchez pas, faites autre chose : roulez, glissez, volez. Ne marchez pas. Car marchant, il n'y a qu'une performance qui compte : l'intensité du ciel, l'éclat des paysages. Marcher n'est pas un sport. Si mettre un pied devant l'autre est un jeu d'enfant, la marche est bien plus que la répétition machinale d'un geste anodin : une expérience de la liberté, un apprentissage de la lenteur, un goût de la solitude et de la rêverie, une infusion du corps dans l'espace... »
Le soir, l’instant d’éternité est encore plus féérique au moment du coucher du Soleil sur la mer de nuage. La fille en rose et moi restons assis un long moment, sans rien dire, à contempler le Soleil jusqu’à ce qu’il disparaisse complètement dans la brume, s’infusant totalement dans l’espace. À l’Est, c’est pas mal non plus, c’est la Lune qui se lève. Du coup, la fille en rose qui est aussi prof de chinois dans un lycée du Jiangxi, me récite des poèmes de la Chine ancienne où on y parle de nature.
Nous ne sommes évidemment pas seul à profiter du panorama, d’autres marcheurs se trimballent cahin-caha sur le chemin, jouant à cache-cache avec la brume. Certains se coltinent un énorme sac à dos, ils transportent leur tente pour la nuit ; mais il est également possible de louer une tente sur place, au niveau des cabanons fait de bric et de broc avec des tôles bleues. C’est dans un de ceux-là que la fille en rose et moi passeront la nuit, sur une planche en bois sur laquelle j’ai tenté de superposer plusieurs sacs de couchage pour avoir un peu plus de confort. Sentir la dureté du sol avec mon dos, peut être est-ce cela « l’infusion du corps dans l’espace ».
D’ailleurs, en parlant d’infusion, le lendemain, nous remplissons nos bouteilles avec de l’eau préalablement bouilli par le gardien de la baraque, mais qui avait fort mauvais goût. J’ai tenté d’infuser un sachet de thé que j’avais récupéré en douce, dans la chambre de l’hôtel de Pingxiang, la première nuit. Mais malgré cette astuce, cette eau restait pour moi imbuvable.
Le lendemain matin, c’est une brume humide et une température fraîche qui nous enrobe. Après un petit déjeuner à base de nouilles et de gâteaux secs, la fille en rose et moi reprîmes la marche. Le soleil pointera un bout de son nez un peu plus tard pour nous réchauffer. Puis nous entamons la descente dans la forêt.
A un moment donné, j’emprunte un chemin de traverse par curiosité puis je retourne chercher la fille en rose. Pubu, pubu ! C’est le mot chinois pour dire chute d’eau. Nous sommes resté un long moment à profiter des lieux, la cascade enluminée par le soleil se pare en effet de ses plus beaux atours pour nous plaire. Nous quittons nos chaussures pour aller patauger dans l’eau comme des enfants, puis prendre des photos en faisant des pauses incongrues.
Puis nous avons encore une longue descente sur un sentier glissant et boueux et nous atteignîmes la route peu avant le crépuscule. C’est une mobylette passant par là qui nous transportera sur les derniers kilomètres pour rejoindre l’arrêt de bus avant la nuit tombée.
Nous passerons une nouvelle nuit dans la ville de Pingxiang à rêver de nuées, de brumes, de nébulosité, de vapeurs, de nuages, d’embruns et de montagnes qui s’effacent et qui s’évanouissent.
Le lendemain matin, la fille en rose m’emmène manger une soupe de poisson pour le petit déjeuner. Mais c’est une autre histoire.
Commentaires
Quand l'un avance, l'autre veut le dépasser
Et moi, comme un imbécile, je marche.
Ca, c'était la façon humoristique de voir les choses par Raymond Devos