Le taoïsme et ses mystères

En Chine, de temps en temps, j’aime aller visiter des temples. En particulier, j’aime les temples taoistes, par leur côté mystérieux, énigmatiques, il y a toute une série de divinités, de démons ou d’esprits. Il y a une mythologie très riche, des rites, une forme de sagesse. C’est très dépaysant, comme en Inde, et en même temps, ça ne ressemble en rien à l’hindouisme. Il semble que le taoïsme soit particulier à la Chine.
Les religions ont été malmenées pendant la révolution culturelle, certains temples ou sites religieux détruits. Pour Mao, la religion devait être éradiquée afin que le peuple devienne plus éduqué, plus rationnel. Puis dans les années 1980, les temples ont été reconstruits pour attirer les touristes et les croyants. Aujourd’hui, 70% des chinois se disent athées. Mais la liberté religieuse est maintenant protégée par la constitution chinoise. Il est possible de pratiquer une religion parmi les quatre reconnues par l’Etat :
- Le taoïsme, la plus ancienne, qui date de l’antiquité chinoise.
- Le bouddhisme, importé de l’Inde via le Tibet, au premier siècle de notre ère.
- L’islam, introduit au VIIe siècle par la route de la Soie.
- Le christianisme, introduit par les missionnaires jésuites au XVIe siècle.
Si chacun est libre, les religions sont toutefois encadrées par l’état, c’est lui qui désigne les prêtres, imams et moines. A la différence de la laïcité à la française, il s’agit plutôt d’un athéisme d’état, car les membres du gouvernement chinois n’ont pas le droit de pratiquer une religion. La religion et la politique sont des sphères de valeurs distinctes.
Mais revenons au sujet du jour. Le taoïsme, est-ce une sagesse, une philosophie, une manière de vivre, ou une religion ?
Dans un précédent article, je racontais un peu ce que j’avais compris du taoïsme. J’y expliquais comment suivre la Voie, ce qui me permettais de faire des jeux de mots rigolo, mais aussi démontrer que je n’y avais rien compris. En effet, beaucoup d’auteurs critiquent cette traduction de la « voie », il faudrait plutôt parler de « principe », de « conduite » (à suivre pour s’insérer harmonieusement dans un tout en perpétuel changement), de « fonctionnement ».
Et c’est un peu compliqué, car au cours du temps, le taoïsme s’est transformé au contact d’autres pensées. Entre les trois sagesses chinoises, le taoïsme, le confucianisme et le bouddhisme, il y a eu des luttes d’influence, mais aussi des interactions, des recombinaisons.
En fait, on devrait plutôt dire daoïsme, les chinois disent dao (ce qu’on appelle en français le tao). Le Dao c’est un principe d’ordre, mais c’est surtout, d’après les sages chinois eux-mêmes, ce qui est indéfinissable. Le dao est à l’origine de tout. Il est là. Un point c’est tout. Moi je le compare à la Force, dans Star Wars, c’est comme le dit Yoda, « l’énergie qui nous entoure et nous relie ».
« Une fois yin, une fois yang, c’est ainsi que tout fonctionne ». 一阴一阳之谓道 yī yīn yī yáng zhī wèi dào. Le yin 阴 peut se traduire par sombre, tandis que le yang 阳 c’est lumineux. On retrouve ici les caractères 月 la lune, et 日 le soleil. Le yin, c'est le féminin, la nuit, le nord, le froid, l'hiver, le passif ; tandis que le yang c'est le masculin, le jour, le sud, le chaud, l'été, l'actif. Ce sont deux catégories complémentaires dit wikipedia. Une forme de dualisme ? Et bien non. Il y a du yin dans le yang, et du yang dans le yin, cela étant symbolisé par les deux points. De plus, « Yin et yang ne sont pas plus des états stables que des attributs, pas plus des opposés que des complémentaires » dit Cyrille Javary. Le dao, c’est le fonctionnement, c’est le changement.
Le taoïsme doit avoir ses origines dans des formes de chamanisme, ou peut être est-il un chamanisme. Le chamanisme est une sorte d’animisme, tout ce qui est vivant est composé d’une forme visible et d’une forme invisible.
Sur le plan philosophico-sagesse, c’est Lao Tseu (LaoZi 老子 en chinois) qui est considéré comme le fondateur de la pensée du taoïsme. Il aurait été un contemporain de Confucius, vers le VIe siècle avant notre ère. Il est rigolo de remarquer que souvent, les philosophies de Confucius et de LaoZi rentrent en contradiction. Un autre penseur important du taoïsme est Zhuangzi, qui vécut entre le IVe et le IIIe siècle avant notre ère.
Mais si les livres parlent de la philosophie, du rapport au monde du taoïsme, il est plus difficile de trouver des informations sur ce qui se passe vraiment dans les temples.
Quand je vais visiter un temple, il y a des pratiques, des rites, qui font tout à fait penser à une religion. Il y a un prêtre, il chante, ou énonce des prières ou des invocations. Parfois, il souffle de la poussière d’un petit récipient, un verre en métal, qu’il recouvre ensuite par une espèce d’épée. Il tourne en rond, puis reprend la même procédure un peu plus loin dans la pièce. Un autre lit des inscriptions dans une planchette en bois recourbée, puis il fait lui-même des courbettes. Cela vous paraît inintelligible, bien à moi aussi. J’ai demandé à mes collègues, mais ils n’en savent pas plus que moi. Pour eux, c’est quelque chose qu’ils voient dans les films à thématique historique.
Le prêtre est assisté par des moines. Certains d’entre eux font de la musique, l’un avec une flute, un autre avec un erhu, ce violon chinois avec deux cordes, un autre encore joue du biniou ou la bombarde, le truc breton, en tout cas quelque chose qui y ressemble, et d’autres jouent des percussions. L’un deux avait l’air de s’ennuyer, il devait tapoter sur un truc de temps en temps, un peu à la manière d’un triangle dans un orchestre symphonique. Au moment venu, il y a aussi une clochette à faire sonner. Mais se cultiver par les arts fait partie des pratiques du taoïsme.
Les musiciens sont habillés sobrement, de vêtements de couleur bleu, tandis que celui qui fait office de prêtre porte une longue robe richement décoré et coloré, du bleu, du rouge, du violet, du doré et des dragons. Ils portent tous une coiffe noire avec un petit carré blanc sur le devant, mais celle du prêtre est particulière, avec une ornementation dorée sur le dessus.
Comme à la messe, il y a des spectateurs qui assistent à la cérémonie. Quand j’y suis allé, c’étaient plutôt des personnes âgées, ce sont majoritairement des femmes, assises sur des tabourets en plastique. Mais à certains moments, il faut se lever. Beaucoup assistent assidument tandis que d’autres en profitent pour papoter en buvant du thé. Dans un coin, certaines d’entre elles plient des papiers, des genres d’origami, qui seront ensuite brûlés dans une grande cuve, devant le temple.
Dans la Chine ancienne, il pouvait y avoir des sacrifices sanglants d’animaux, aujourd’hui prohibés, le sacrifice est symbolique ou sous forme d’offrande.
Comme dans les temples bouddhistes, dans la cours devant le temple, il y a de grands bacs dans lesquels on peut planter et faire brûler de grands bâtons d’encens à l’odeur caractéristique.
Le bâtiment, les décorations sont dans les tons rouges et dorés, un peu comme le sapin de noël de ma maman, avant qu’elle ne change pour le bleu et l’argenté. Les toits sont recouverts de tuiles jaunes, il y a des inscriptions en caractères chinois que je ne sais pas déchiffrer, et des petits personnages, certains montés à cheval, tels des chevaliers, avec une lance, accompagnés de fantassins.
Dans les temples, il y a des sculptures de divinités : ce sont des humains ayant existés, puis divinisés en raison de certains haut-faits, comparables aux saints du christianisme. LaoZi par exemple, sous sa forme de divinité, est représenté comme un vieillard à la barbe blanche, parfois monté sur un buffle, il s’en va vers l’ouest, lors d’un voyage spirituel, vers une destination inconnue.
Il y a le temple principal, je crois, mais autour de la cour il y a des bâtiments secondaires, deux étages, avec plusieurs pièces, chacune dédiée à une ou plusieurs divinités, que l’on peut identifier par son nom ou ses attributs.
Divinité pour les couples ou le mariage
Lors de l’histoire de la Chine, le taoïsme a aussi permis des découvertes scientifiques. Certains adeptes pratiquaient l’alchimie. Dans l’antiquité, l’art de la forge, les techniques d’extraction des métaux, de distillations ont pu être mis au point. Il y avait aussi la chimie, bien plus avancée qu’en Europe à l’époque, avec la poudre, les émaux, la porcelaine. Le taoïsme est également lié à la médecine chinoise traditionnelle. La méditation, des pratiques corporelles visent à entretenir le corps et l’esprit. Avec la recherche de l’amélioration de la santé, il y a aussi une quête d’immortalité. Evidemment, c’est plus complexe que ça n’en paraît : être immortel ne signifie pas vaincre la mort.
La plupart des photos illustrant cet article proviennent du temple royal Yangdian, dans le quartier de Pudong à Shanghai en avril 2017, tandis que les autres, je les ai prises dans l’ancienne ville d’eau de Fenjing en octobre 2016. J’avais un petit film, mais je l’ai effacé par erreur. 
Ici, un documentaire sur la musique dans le taoïsme, en chinois, si vous vous sentez vraiment motivé.
Voici quelques références sur le sujet :
Jean-Claude Ameisen. A la rencontre de la Pensée chinoise, France Inter, 2016.
Alexis Lavis, Confucianisme vs Taoisme dans Les Chemins de la Philosophie sur France Culture, 2017.
François Cheng. Et le souffle devint signe, 2010.
Max Kaltenmark. Lao Tseu et le Taoïsme, 2014.
François Jullien. Vivre de paysage ou l’impensé de la raison, 2014.
Temple taoïste à Fengjing
 Détail d'une aile du temple Yangdian à Shanghai

Commentaires

Le tao c'est doux,
Le Dao c'est tout
La Pouille a dit…
Le Mao c'est fou,
Le FAO c'est mou