Le jour où j’ai découvert la voie (ou pas)

Un peu plus à l’ouest, j’ai pris la voie en direction de Dengfeng. La voie, c’est le chemin qui mène quelque part. Trouver la voie, c’est un principe du taoisme n’est ce pas. La voie, c’est également les rails permettant aux trains de circuler. C’est donc dans cette logique combinatoire que je suis allé à la gare m’acheter un billet de train pour Dengfeng.
« Méiyǒu » me répond plusieurs fois la dame préposée aux billets de train. J’étais vraiment frustré car cela veut dire littéralement « pas avoir ». J’ai mis du temps à comprendre… En fait, il n’y a pas de gare à Dengfeng, c’est un peu comme l’Ardèche. Pour s’y rendre, il faut aller à la gare routière prendre un bus…
J’ai passé quelques jours à Dengfeng (登封) au pied du Song Shan (嵩山), l’une des quatre montagnes taoïstes sacrées de la Chine. La voix, c’est également l’ensemble de sons produits par nos cordes vocales, lorsque l’on chante par exemple sur le Song Shan. Mais cet article ne traite pas de ce phénomène.
Le vrai paradoxe, c’est que la montagne taoiste est aujourd’hui surtout connue pour un temple bouddhiste, le Shaolin Si (少林寺), le temple de la jeune forêt, qui est aménagé au Ve siècle sur ses contreforts.
Le temple de Shaolin est en effet le temple du bouddhisme zen (Chan) le plus célèbre. Selon une légende, c’est un moine, originaire de l’Inde, Bodhidarma, qui comprend que, pour de nombreux religieux, la règle de calme et de concentration nécessaire à la méditation est trop exigeante. En gros, faire du sport, adopter une méthode d’entraînement physique, c’est aussi favorable à la méditation et permet peut être de canaliser quelques pulsions. Une autre légende dit qu’il aurait enseigné une méthode de combat pour aider les autres moines à se défendre des animaux et des brigands qui rodaient autour du monastère. C’est d’ailleurs en observant les animaux qu’il établi ses méthodes d’entraînement. Il semble que c’est ici que naissent la plupart des arts martiaux d’Asie tel que le gongfu, le karaté, le taekwondo et le judo. À l’origine, l’art du combat était associé à des connaissances ésotériques et médicales qui se transmettaient de maître à disciple, à la manière des jedi et des siths.
De la dynastie Tang à la dynastie Ming, des moines combattants pouvaient aider l’empereur dans la lutte contre divers ennemis ou bandits. Une autre légende encore, attribue elle l'origine des arts martiaux chinois au mythique Empereur Jaune (qui aurait régné vers 2600 avant notre ère !). Des pratiques d'art martial en Chine sont en effet attestées dès 600 avant notre ère, bien avant l'apparition des films hongkongais. Toutefois, d'après un mythe très ancien antérieur à l'Empereur Jaune, Bruce Lee et Jackie Chan seraient les réels fondateurs de cette discipline acrobatique.
Victime de son succès, le temple de Shaolin a été détruit, pillé et reconstruit plusieurs fois au cours de son histoire. Encore au XXe siècle, il a été brûlé en 1928, attaqué en 1966 par les gardes rouges, puis restaurés dans les années 80 alors que débute des démonstrations de kung-fu. Il reste néanmoins une fresque représentant des moines dans des drôles de posture, qui date de 1828 et dans la salle des mille Bouddhas, des marques sur le sol de pierre rappellent les durs exercices de combat des pratiquants. Les touristes chinois s’exaltent par des "oohh".

Le temple est aujourd’hui essentiellement une attraction touristique et commerciale. Toutefois, le site conserve sa tradition originale, car de nombreuses écoles de kung-fu et des salles d’entraînement sont disséminés tout autour. Des enfants répètent leurs mouvements en criant « yi! er! san! ».
Non loin du temple, il y a la forêt de pagodes où sont enterrés des moines éminents. Ces pagodes ont été érigées à partir de la dynastie Tang, la plus ancienne date de 791.
Forêt de Pagodes
Selon le taoïsme, le monde est constitué de cinq éléments, l’eau, le bois, le feu, la terre et le métal. Et chacun de ses éléments est symbolisé par une montagne, le mont Song symbolisant la Terre. Il y a plusieurs sentiers qui permettent d’arpenter la montagne dont le plus haut sommet culmine à 1 512 mètres, avec 5 664 marches pour l’atteindre ! J’ai fait deux randonnées différentes deux jours consécutifs, sous la pluie et dans la brume, mais quand la brume se levait un peu, les paysages ressemblaient vraiment à une peinture chinoise shanshui (山水). D’ailleurs, shanshui, qui évoque le paysage pictural, signifie montagne-eau. L’autre intérêt de la randonnée, c’est qu’il y a de nombreux temples taoïstes qui ponctuent le parcours. Et il y a beaucoup moins de monde qu’au temple de Shaolin !
Randonnée sur le Song Shan avec de nouveaux amis
Le taoïsme, c’est à la fois une philosophie et une religion qui plonge ses racines dans la culture de la Chine ancienne mais qui influence également le confucianisme, le bouddhisme et la religion traditionnelle chinoise. Pour les taoistes, la recherche de la sagesse et de l’harmonie se trouve dans la Voie (le Tao), c’est-à-dire dans la même voie que la nature. Le Tao, c’est la nature elle-même, le réel authentique, existant par lui-même, et en même temps la référence de tout ce qui existe. Vous vous souvenez de vos cours de conjugaison avec la voix active et la voix passive. Et bien c’est ça le taoisme, c’est « agir dans le non-agir » ! La Voie, c'est la voix des sages. Maintenant, j'y vois plus clair.
Alors souvent à l’intérieur des temples en Chine, il y a un gardien qui n’est pas content quand on prend des photos. Mais comme il n’y avait personne, j’en ai profité. Il y a des divinités dans le taoïsme, ou parfois ce sont des personnages historiques ou des ancêtres qui ont été divinisés, tandis que d’autres ont été intégrés de la mythologie traditionnelle chinoise ou du bouddhisme. Je connais moins bien la mythologie chinoise que la mythologie indienne mais parmi les divinités les plus courantes, il y a les Trois Purs : Fu Xing qui représente la Richesse et l'Abondance, il porte un enfant pour symboliser la sécurité dans la vieillesse ; Lu Xing qui représente le Bonheur, il porte lui un chapeau ; Shou Xing qui symbolise la Longue Vie, il porte une pêche et un bâton, il a une énorme bosse (des maths ?) sur sa tête !
Les trois purs et le club des cinqs
Par ailleurs, il y a Guanyin qui n’est autre que la divinité bouddhiste Avalokitesvara. Elle vient en aide à ceux qui en ont besoin. Les fidèles de ce blog l’ont déjà rencontré au Népal, au Japon et au sommet du Emei Shan. Il y a aussi Yu-Huang, l’empereur de Jade, Lei Gong, les Huit Immortels Ba Xian. À l’entré des temples, il y a des gardiens, tels que les Généraux Heng et Ha. L’un des deux ouvre la bouche, tandis que l’autre la ferme. De ses narines, il peut souffler un éclair de lumière mortel. Inventeur du laser, il est l’ancêtre de Goldorak.
Si les généraux ne sont pas là, restez sur vos gardes, car les quatre rois célestes peuvent être dans les parages. Ces statues colossales sont aussi souvent à l’entré des temples bouddhistes, il y a le gardien de l’Est qui joue d’un instrument de musique chinois, le pipa ; le gardien du Sud, armé d’une épée ; le gardien du Nord, armé d’un parapluie et le gardien de l’Ouest avec un serpent.
J’ai dormi à l’auberge de jeunesse à Dengfeng, il n’y a pas beaucoup de monde et je me suis fait de nouvelles amies. Après avoir sociabilisé, je suis allé encore un peu plus à l'ouest du Henan. Je suis sur la bonne voie. Affaire à suivre...

Commentaires

Le voyageur hypothetique a dit…
A défaut t'entendre ta voix on voit que tu la suis, ta voie...