Un peu plus au bord du Lac de l’Ouest

Le lac de l'Ouest avant le couché du Soleil
Entre 960 et 1127, la dynastie Song régnait sur toute la Chine et avait pour capitale Kaifeng, dans le Henan actuel. Souvenez-vous, j’y été passé il y a quelques années. Les Song faisaient alliance avec les Jin, des gens du Nord (l’actuelle Mandchourie) notamment pour contrôler ou attaquer les Liao, ceux-là vivant dans une péninsule au nord de la Corée.
Mais à un moment donné, c’est le renversement de situation, le jeu des Trônes : les Jin rompent leur alliance avec les Song. Les Jin envahissent le Nord et pillent Kaifeng. Du coup, les Song doivent s’enfuir vers le Sud. C'est pour cela qu'entre 1127 et 1279, on parle de la période des Song du sud. Ceux-ci font de Hangzhou leur nouvelle capitale. Pendant ce temps là, la dynastie des Xia Occidentaux contrôlaient les actuelles provinces du Shaanxi et du Gansu.
Ce sont des gens encore plus au nord que le Nord, des gens d’au-delà du Mur, qui viendront nettoyer tout ce bordel : en 1215, les Mongols de Gengis Khan s’emparent d’abord de Pékin, la capitale des Jin, puis de toute la Chine, Hangzou est conquise en 1276. Le Khan fondera la dynastie Yuan.
Selon Chaoying, un poète de la dynastie Yuan justement, « au ciel il y a le paradis, sur terre il y a Suzhou et Hangzhou ». 上有天堂,下有苏杭 (shàng yǒu tiān táng, xià yǒu sūháng).
Le Lac de l'Ouest et ses barques
C’est de Hangzhou (杭州) dont je vais vous parler aujourd’hui, une grosse ville, aujourd’hui la capitale de la province du Zhejiang.
Déjà au XIIIe et XIVe siècle, Hangzhou est considéré comme la plus grande ville du monde. Marco Polo qui est venu à Hangzhou à la fin du XIIIe siècle, à l’époque du règne de Kubilai Khan, parle de « la plus noble des villes, la ville du paradis ». Dans son livre des merveilles, Marco dit souvent « Qui ne l'a pas vu ne pourrait le croire ». Certains de ses contemporains ne l’ont d’ailleurs pas cru, et encore aujourd’hui, des auteurs européens essaient de montrer qu’il n’est jamais allé jusqu’en Chine. Si certaines erreurs ou omissions peuvent soulever un doute, l’exactitude des descriptions de la plupart du récit tendent à montrer que Marco Polo et bel et bien resté en Chine pendant plusieurs années. D’autant plus que des chercheurs chinois trouvent des indices de son passage dans leurs archives, ainsi que celui d’autres marchands italiens à la même époque. Dans son livre, Marco Polo fait de nombreuses éloges de Hangzhou, il y décrit le port, les bateaux, le commerce, la fortune des marchands, la nourriture, la soie. Et il y a le fameux lac.
Le Lac de l’Ouest (西湖 xī hú) est probablement la plus connue des attractions de Hangzhou. Ici vous pouvez le visualiser sur la carte. De nombreux artistes, sous toutes les dynasties, en font également une source d’inspiration, et louent ses charmes, des écrivains, des poètes et aussi d’innombrables peintures. Le paysage a de quoi charmer, si à l’est le tour du lac est complètement urbanisé, avec une ville de plusieurs millions d’habitants, l’ouest est plus sauvage, il y a des collines, des montagnes. Un paysage enchanteur, mais qui ne peut pas rivaliser avec celui du Lac d’Aiguebelette selon moi. « Une perle d'émeraude dans un écrin de verdure » dit le proverbe à propos du Lac d’Aiguebelette. S’il y a bien une légende expliquant la formation des îles du lac, à ma connaissance, il n’y a pas de mythe associé à la formation du lac d’Aiguebelette.
Hangzhou au bord du lac
D’après une légende chinoise, un dragon de jade et un phénix d’or vivaient dans la voie lactée, c’était l’été, et ils n’étaient pas de garde pour les aventures de Harry Potter. Alors ils se sont amusés à tailler une perle à partir d’une pierre lumineuse. Mais jalouse de ce trésor, la Reine du Royaume Céleste vola la perle. Toutefois, le dragon et le phénix n’avaient pas l’intention de se faire flouer ainsi, ils poursuivirent la Reine afin de récupérer leur bien. Mais dans la bataille qui s’engage, le phénix donnant des coups de bec à la reine, celle-ci lâcha la perle, et sous l’influence de la gravité, telle la pomme de Newton, la perle tomba du ciel vers la terre. En touchant le sol, la perle s’est transformée en un magnifique lac. Ainsi naquit le lac de l’Ouest.
Le Lac au couché du Soleil
Le lac à une circonférence de 15 km, il est ainsi possible d’en faire le tour à pied pendant la journée. Hangzhou et le Lac de l’Ouest, c’est un peu la sortie du weekend des shanghaiens. Destination touristique prisée, Hangzhou est aussi l’une des villes chinoises où le coût de la vie est le plus élevé.
J’y suis allé plusieurs fois, parfois seul, parfois accompagné, faire le tour des jardins et des pavillons qui longent le lac. Des promeneurs viennent ici se détendre, marcher, ou lire sur un banc, pique-niquer, jouer aux échecs ou au mah-jong. Il y a aussi ceux qui s’amusent avec un cerf-volant. Il y a des jardins fleuris, des maisons de thé, des pagodes et je n’ai pas encore fait le tour des différents recoins du lac.
C'est l'hiver, ma tête en compagnie d'une femme serpent, ou pas
Les jardins, en été
Il y a d’autres légendes sur le Lac de l’Ouest. La plus connue est la « légende du serpent blanc » (白蛇传), c’est un conte très populaire de la Chine ancienne. Il y a quelques mois, une amie, qui est enseignante, entraînait ses élèves à jouer le conte telle une pièce de théâtre. Depuis, elle m’a emmené voir le fameux pont, le lieu de la rencontre, le lieu de la légende que je vais maintenant vous raconter.
Il était une fois, Xu Xiang, c’est son nom, un employé de pharmacie, herboriste, qui se promenait au bord du lac de l’Ouest. Mais le malheureux n’avait pas eu l’idée d’écouter la météo avant d’aller faire sa balade, et pour cause, ni la radio, ni internet, n’avaient été inventés en ce temps là. Il se retrouva donc sous l’averse. C’est quand il voulu rentrer chez lui qu’il rencontra une jeune femme vêtue de blanc et sa suivante vêtue de bleue. La rencontre aurait eu lieu sur le « pont brisé » actuel. C’est le coup de foudre, et avant de rentrer chez lui, Xu Xian prêta son parapluie aux deux jeunes femmes, un prétexte pour les revoir, surtout la petite en blanc qui lui avait tapé dans l’œil. C’est un peu romantique car les deux amoureux se sont retrouvés, puis se sont mariés.
C'est un serpent, regarde, je te l'avais bien dit.
Mais la jeune femme était en réalité un serpent blanc qui aspirait à la vie humaine.
C’est un moine, Fahai, qui révéla à Xu Xian que sa femme était un serpent et que ce mariage était contestable. Fahai avait pour but d’éliminer les génies, et la dame blanche devait en être un. Pour le prouver, il donna à Xu Xian une potion à faire boire à sa femme et ainsi il verra sa véritable nature. Ayant bu la potion, sa femme se transforma en serpent, et Xu Xian, sous le choc, meurt d’effroi !
Mais Serpent Blanc s’envole à la recherche d’herbes magiques pour ramener son mari à la vie. Elle doit combattre des gardiens dans l’île des trois Immortels, et c’est l'Étoile de la Longévité qui lui donne l’herbe. C’est ainsi que Xu Xian est ressuscité, mais il est aussitôt enlevé par le moine Fahai, encore plus en colère. Xu Xian enfermé dans un temple, le Serpent Blanc implore Fahai de le délivrer. Mais celui-ci refuse.
Ainsi, Serpent Blanc s’en alla chercher Serpent bleu, des Dragons rois des quatre mers et leur armée aquatique, et tous ensembles, ils partent à l’assaut du temple. Ensemble, ils envoient des masses d’eau contre le temple, mais Fahai était très puissant, il parvient à dresser des barrages pour empêcher l’inondation. De plus Serpent Blanc était affaiblie car enceinte, elle doit abandonner la bataille.
Côté sauvage au nord ouest du Lac
Plus tard, je ne sais pas comment, mais Xu Xian parvient à s'enfuir du temple. Il retourne au bord du lac, sur le pont, en souvenir de sa première rencontre avec la dame serpent Blanche. Puis c’est les retrouvailles, entre temps, la dame Serpent Blanc accouche.
Un beau jour, Xu Xian voulait acheter de beaux bijoux pour sa femme. Au marché, il trouva un monsieur qui vendait toutes sortes de pierres précieuses, il acheta une magnifique couronne pour sa femme et la posa, avec délicatesse, sur sa tête. Mais la couronne se met à la serrer, serrer fort, et dame Serpent Blanc perd connaissance.
Hahaha dit le marchand en révélant sa vraie nature. Il enleva ses postiches, tel Olrik dans Blake et Mortimer : c’était en fait le moine Fahai. Serpent Blanc redevient serpent et Fahai l’emprisonne dans un bol magique, puis il enferme le bol sous la pagode Lei Feng, au bord du Lac de l’Ouest.
Selon la légende, quand la pagode s’écroulera, Serpent Blanc sera libéré. Dans une autre version, c’est le fils de Serpent Blanc qui offrit un sacrifice, ou un rituel, à sa mère devant la pagode, et, une divinité en ayant été ému, fit effondrer la pagode, et la famille était ainsi de nouveau réuni. Il était une faim.
C’est vrai que ça donne faim toutes ces histoires.
Restaurant au bord du lac, canard et poisson du lac
Au nord de Hangzhou, c’est le temple bouddhiste de Lingyin. Selon une légende, un moine indien qui passait par là aimait bien le paysage. Ça lui rappelait le pays du bouddha et il pensait même qu’un maître du bouddhisme avait fait déplacer cette colline de l’Inde à Hangzhou ! Je ne vous raconte pas de blague, d’ailleurs, le nom de la colline, c’est le « pic venu en volant ». Peut être un coup des extra-terrestres. Par ailleurs, c’était un endroit paisible, l’endroit idéal pour fonder un temple. Encore aujourd’hui, c’est un endroit où j’ai apprécié me balader.
Un peu éloigné de l’effervescence et du tohu-bohu de la ville, le temple est situé sur les pentes boisées de la colline. Si le temple aurait été fondé en 328 de notre ère, il a été reconstruit de nombreuses fois depuis cette date. A côté du temple, il y a une pagode en pierre, ancienne, recouverte de mousse. Le long des pentes de la colline, il y a les grottes de Feilai Feng, des cavernes où sont sculptés par endroit des bouddhas ou des bodhisattvas, directement sur les parois. La plupart de ces sculptures datent des dynasties Song et Yuan, dont j’ai parlé lors de l’introduction de cet article.
Le moine et sa bedaine, la vieille pagode et des bouddhas
Il y a ce gros bouddha, ventripotent, hilare, je crois qu’il se moque de moi. Ou bien il souri à la vanité du monde. En faite, cette représentation caractéristique de la Chine n’est pas un bouddha. C’est un moine bien dodu et souriant, un bon vivant, c’est un signe de bonheur, de prospérité et d’abondance.
Avec lui, il a une hotte de père noël que l’on dit inépuisable. D’ailleurs, la sagesse bouddhiste qui tend à abandonner les biens matériels et les plaisirs des sens et tout de même éloigné des habitudes des chinois, pragmatiques et bons vivants. La représentation de ce moine ventru et rieur symbolise donc l’importance des valeurs chinoises. De plus, dans la mythologie chinoise, l’estomac était le siège de l’âme, ainsi, ce gros ventre symbolise le bon cœur, la générosité du personnage.
Il y a d’autres lieux intéressants à Hangzhou, d’autres légendes aussi. Un jour, peut être, je vous les raconterai.
Les cerfs-volants en hiver
Balade dans les collines en été

Commentaires