La fine équipe |
Et puis il y a le voyage mobile, c’est découvrir le monde qui m’entoure, mais cela me permet aussi d’en apprendre un peu plus sur les lieux que je visite, son histoire et sur les peuples qui l’habitent. Ainsi j’en sais davantage sur les autres, mais aussi un peu plus sur moi-même. « On croit qu’on va faire un voyage, mais bientôt c’est le voyage qui vous fait, ou vous défait » disait Nicolas Bouvier.
Après Luang Prabang, je souhaitais aller un peu plus au nord, voir le côté rural du Laos et marcher dans la jungle. Pour cela, j’ai choisi d’aller à Luang Namtha, une petite ville non loin de la frontière avec la Chine et la Birmanie. Il me faut une dizaine d’heure pour rejoindre Luang Namtha par un bus de nuit peu confortable.
La première journée, j’ai loué un vélo pour découvrir la région, avec une petite carte photocopiée des alentours, me voilà à pédaler toute la journée sur des pistes de terre, tout en prenant soin d’éviter les nids-de-poule. Ce n’est vraiment pas une compétition de vitesse, j’ai mangé de la poussière, mais je me suis toutefois régalé de paysage et d’atmosphère. C’est paisible, j’ai longé des champs, du blé ou du riz, enfin ce n’est pas la saison, il n’y avait pas encore de plantation. Des forêts, il y a la jungle, la vraie, puis des forêts d’arbres bien alignés. Ce sont des plantations d’hévéas. Clairement au détriment de la forêt primaire et de sa biodiversité, ces plantations rapportent toutefois de l’argent aux pays et aux paysans locaux. La majorité du caoutchouc produit est exporté vers la Chine.
L’intérêt de la province de Luang Namtha est dans la randonnée dans la forêt et la découverte des villages des minorités ethniques. Le parc national Nam Ha permet de protéger une partie de la forêt. Nam Ha, c’est également le nom d’une des rivières, l’autre c’est Nam Tha. Nam signifie rivière en langue lao.
J’ai pris l’option écotourisme par l’intermédiaire d’une agence située dans la rue principale. Je vais partager un guide avec trois autres personnes afin de passer deux journées dans la jungle. Je partirai donc avec un routard israélien, une jeune chinoise et une française. Le Laos est petit, je retrouve donc ici la même française que j’avais rencontré précédemment à Luang Prabang, alors que nous nous étions quitté sans savoir dans quelles directions nous irions les jours suivants !
L’heure du départ étant fixée à 8h, j’ai le temps de prendre un petit déjeuner dans une petite gargote qui longe la rue principale, juste à côté de l’agence. Comme je ne sais pas quand et quoi nous aurons pour les prochains repas, je commande un pancake à la banane avec du miel. Il me faut un peu d’énergie pour bien débuter cette journée et débuter la marche sous les meilleurs auspices. Mais le Laos, c’est paisible et nonchalant, alors le temps peut être long entre la commande et la réception du plat, même si je suis le seul client. Une fois servi, je devrai donc ingurgiter rapidement ma collation pour ne pas rater le départ.
Nous sommes tous les quatre à l’heure et nous faisons connaissance avec notre guide, originaire d’un village alentour. Il parle anglais, qu’il a appris sur le tas, d’ailleurs, pendant la marche il nous demandera régulièrement comment se dit telle ou telle chose, afin de réviser ou d’enrichir son vocabulaire. Il est guide quelques jours par semaine et peut poursuivre d’autres activités au village pendant les autres jours. L’argent, que nous déboursons pour participer à cette marche, est distribué entre le guide, l’agence et la communauté du village pour le financement de projet par exemple. Une caisse commune pourrait aussi être utilisée en cas d’un problème de santé important d’un villageois.
Mais avant de débuter la marche, nous allons au marché afin d’acheter quelques vivres pour tenir la journée. C’est un marché important, avec des produits locaux, les habitants des campagnes alentours viennent ici acheter ou vendre leurs produits. Il y a de nombreux légumes, mais aussi des stands dédiés à la médecine traditionnelle, avec des plantes séchées et également des champignons. Il y a des petites feuilles de plantes, bien rangées, serrées entre elles grâce à une ficelle. A côté d’un tas de petits poissons, couché sur une grande feuille de bananier, il y a un chien, cuit et découpé, babine retroussée, il montre ses crocs qui ne pourrons maintenant plus mordre dans quoi que ce soit. Il s’est fait avoir par le plus grand des prédateurs carnivores.
Sous des arcades de préaux en béton, il y a le marché des plats cuisinés en quelque sorte. Des produits frais, des denrées parfois non identifiées que l’on n’aurait pas osé acheter par nous-mêmes. Le guide choisi pour nous quelques spécialités que nous consommerons quelques heures plus tard dans la jungle. Nous prenons place dans un petit camion, avec des bancs à l’arrière, à l’air libre, et c’est après une heure de trajet sur les pistes de terre que nous débutons les hostilités.
Nous crapahutons sur les chemins à travers la jungle, de temps à autre, le guide doit sortir sa machette pour dégager la voie. On se croirait presque tels de grands explorateurs, arpentant une terre vierge et inconnue, mais ce n’est bien sûr pas le cas ! La marche ne présente pas de grande difficulté, si ce n’est que la région est vallonnée, parfois il faut monter et après redescendre. C’est un peu comme aller au champignon à la Bridoire.
Toutes les marches que j’ai effectuées dans les jungles d’Asie étaient pendant la saison sèche. Ainsi, je ne connais pas la jungle humide, celle qu’on surnomme l’enfer vert et toute sa ribambelle d’insectes et de sangsues. Nous n’avons point rencontré d’animaux, qu’ils soient inoffensifs ou dangereux. Il faut dire que le tigre est en voie de disparition dans la région. Finalement, il faut être au Canada pour rencontrer une faune un peu impressionnante.
De temps à autre, le guide nous informait sur les espèces de plantes, celles qui étaient comestibles, ou celles pouvant être utilisées dans la pharmacopée. C’est l’école buissonnière, la nature est un terrain d’apprentissage. La nature est une bibliothèque, et je veux essayer d’apprendre à la déchiffrer, d’en tirer quelques savoirs. La nature, ce n’est pas seulement ce qui nous entoure, c’est aussi ce qui nous inclus, c’est notre origine, notre devenir, et nous en dépendons. Les populations locales semblent en tirer parti, mais l’équilibre entre l’exploitation et la préservation de la nature est une affaire délicate.
A un moment donné, nous avons rencontré des troupes de fourmis qui arpentaient un arbre. Ce sont des fourmis rousses. Le guide nous annonçant qu’elles étaient comestibles, il a fallu les goûter. L’espace d’un instant, je me suis pris pour un myrmécophage, un fourmilier, je sentais les petites pattes des fourmis gigoter contre mes lèvres, puis, j’ai mangé. Étonnement le goût ressemblait à celui du citron.A midi, nous faisons une pause, au bord d’un ruisseau, afin de profiter de notre collation. En guise de nappe, de set de table ou d’assiette, nous utilisons des feuilles de bananiers. Pour les travaux manuels, nous avons également confectionné des cuillères en feuille de bananier. Cette randonnée se transforme en une forme de jeu d’éveil, ou bien en cours d’EMT ! Avec des tiges de bambous, notre guide nous montre comment confectionner des verres. Puis nous avons festoyé autour des victuailles choisies le matin même au marché. Si je n’ai pas vraiment identifié tout ce que j’ai mangé, je me souviens qu’il y avait des genres de boyaux, ça c’est pour la viande, puis, pour les légumes, ce sont des algues de la rivière, qui sont séchées, grillées, avec des graines de sésame sur le dessus. Pour accompagner le tout, nous avons chacun notre portion de riz gluant, empaqueté dans des feuilles de bananier et transportés dans nos sacs.
Après cette période de repos et de discussion autour du repas, nous reprenons la marche. Nous contemplons des arbres, des plantes tropicales avec de grandes et larges feuilles, parfois, quelques champignons. J’écoute la forêt qui pousse. Je regarde les forêts de bambous, joliment dispersés, tel un jeu de mikados géants. Adroit comme je suis, j’essaie d’en attraper un. Et parfois, il y a un arbre géant, peut être plusieurs fois centenaires. Certains arbres, tout comme la forêt, peuvent être vénérés, ils sont sacrés. En effet, la plupart des habitants des villages ne sont pas bouddhistes, mais animistes. Des esprits habitent la nature, dans les arbres, les roches, les sources, les collines, ce sont les Phi. Les Phis sont des bons génies qui peuvent protéger le village, assurer sa prospérité, ils marquent les événements importants de la vie, de la naissance à la mort. Mais ils peuvent aussi être en colère s’ils ne sont pas respectés ; dans ce cas, des rituels, des prières, sont nécessaires pour les apaiser.
Nous arrivons au village en fin d’après-midi. Les maisons, certaines sur pilotis, sont construites en bois et en bambous. Le toit est confectionné à partir de larges feuilles séchées, ou plus souvent, en tôle ondulé, cela évitant de refaire son toit trop souvent. L’une des maisons est réservée pour les voyageurs de passage. À l’intérieur, il y a juste quelques matelas, c’est là que nous passerons la nuit.
C’est le moment de détente, nous pouvons déambuler dans le village, observer les habitudes des habitants. Certains préparent le repas, une potion mijote dans de grands chaudrons. À côté, une dame est en train de colorer du tissu. Et il y a des enfants, un petit groupe d’entre eux viennent vers nous se pavaner, fanfaronner, ils font les idiots, sautent, chantent, puis tentent une représentation d’art martial. Un peu partout, des poules et des cochons se baladent. Il n’y a pas de douches, la douche, c’est la rivière. Pas d’électricité non plus, enfin l’électricité est limitée le soir à l’éclairage.
La soupe qui cuit au village |
Le lao-lao devait être sa récompense, après une longue journée de marche. Le lao-lao, c’est l’alcool de riz du pays. Pour le boire, nous avons conservé notre verre en bambou, confectionné pendant la journée. Mais un alcool à plus de 40°, pour ne pas être malade, mieux vaut le consommer avec modération.
Après ces réjouissances, avant d'aller dormir, nous profitons du faible éclairage pour contempler les étoiles.
Le matin, nous sommes réveillés à l’aube, et même un peu avant, au chant du coq. Le coq, c’est le roi de la basse-cour, et tous les matins, il se lève très tôt afin de bien rappeler à tout son entourage qu’il est le boss. Et grâce à son horloge interne, le coq anticipe le lever du soleil, c’est-à-dire qu’avant même les premières lueurs du jour, il commence à chanter. Mais il est vraiment trop tôt, nous restons au lit, et nous entendons un cochon, en train de se faire égorger. Les villageois vont préparer le repas pour la nouvelle journée qui commence. Il est temps de se lever.
Après le déjeuner, nous avons visité l’école. Les tables sont placées près des fenêtres, sans doute pour profiter de la lumière, tandis que le milieu de la classe paraît vide. Au tableau, il y a quelques mots écrits en alphabet laotien. C’est un alphabet similaire à celui utilisé en Thaïlande. C’est une écriture que je ne sais pas déchiffrer, qui me paraît à la fois belle et étrange. « Toute langue écrite est à la fois une évidence et un mystère. Une évidence pour qui a appris à la parler et à la lire, un mystère pour qui la découvre pour la première fois. Des signes étranges, parfois très beaux, mais dont le sens demeure impénétrable » dit Jean-Claude Amesein.
Le professeur tente d’enseigner, mais beaucoup d’élèves semblent plus intéressé par ce qu’il se passe dehors. Un petit groupe parait toutefois plus studieux. Si j’ai bien compris, l’école est obligatoire au moins jusqu’à dix ans. Au moins, les élèves savent lire et écrire. Après, peut être que certains d’entre eux participeront aux travaux collectifs, au village. Peut-être pourront-ils en apprendre d’avantage avec l’expérience de la vie, avec le savoir de la forêt ou de l’agriculture. Peut être que certains feront des études plus longues, mais ils devront quitter le village. Je ne suis pas resté assez longtemps pour connaître, pour comprendre, quels sont les envies, les motivations, les attentes, les rêves des habitants.
Il est temps de repartir, poursuivre la marche, au milieu de la végétation, dans l’épaisseur de la forêt. Un villageois nous accompagne aussi sur le chemin du retour. Pour la pause de midi, notre guide nous avait proposé de manger uniquement des aliments provenant de la forêt. Presque exclusivement, car nous avons toutefois emmené avec nous une portion de riz.
Pour le reste, notre guide va donc directement se servir des produits frais trouvés le long du chemin. Un repas à base de plantes. Pour cuisiner, il confectionne un gros ustensile à partir d’un tube de bambou, il prépare le feu puis fait bouillir l’eau de la rivière dans le tube de bambou. Nous participons à l’épluchage des plantes, certaines parties sont comestibles, tandis qu’il faut rejeter d’autres morceaux. Enfin, nous bourrons tous les produits à l’intérieur du tube pour faire mijoter l’ensemble. Un autre tube de bambou, coupé dans le sens de la longueur servira de grand récipient pour verser la soupe et la consommer tous ensemble. D’autres tiges de bambous, moins larges, permettront de fabriquer des cuillères et des baguettes. C’est un peu comme le cochon, tout est bon dans le bambou !
Après le gueuleton, nous repartons pour quelques heures, terminer la marche, entourée de tiges, de troncs, d’herbes, de lianes, de plantes, de fleurs, de feuilles, de chlorophylles, de matières organiques. Je suis cerné par des autotrophes ! Tout autour de moi, des milliards de chloroplastes transfèrent l'énergie véhiculée par les photons à des molécules d'eau. La forêt respire, mais à l’inverse de moi, elle consomme du CO2 et produit de l’oxygène. Ainsi nous sommes complémentaires, nous échangeons quelques molécules.
Je ne crois pas aux esprits, ni aux divinités, mais pour moi, mieux comprendre l’environnement qui m’entoure et auquel j’appartiens, mettre des concepts chimiques sur les phénomènes de la nature, c’est porteur de sens. Certains pensent que la science désenchante le monde mais ils ont complètement tort. La science est justement un facteur d’étonnement, d’émerveillement, grâce à elle, je dispose d’un regard supplémentaire sur la nature. La science ne fait que rajouter au mystère de la nature.
« Lors de mes vagabondages dans les verdures éternelles j'avais l'impression de lire l'univers et la forêt était pour moi la plus belle des bibliothèques » (Gonzague Saint Bris).
Le voyage au Laos est maintenant terminé, ici il y a les photos du voyages.
A bientôt à Shanghai.
Commentaires
Fourmi : insecte dont la taille varie entre 0,01 et 3 cms . population probable plus d'un milliard de milliards d'individu.