Avant le déluge

Yu le Grand représenté sur l'un des murs de son temple
D'où je viens ? Qui suis-je ? Que dois-je faire ? Comment expliquer les mystères de la vie ? Pourquoi et comment les choses fonctionnent ? Pour répondre à ces questions, avant la philosophie et la science, les humains ont inventé les mythes et la religion. Grâce au langage et à son imagination, l’homme s’invente des histoires afin de donner du sens à ce qui l’entoure. Le mythe permet d’interpréter le monde et de le mettre en forme.
Des historiens, des mythologues, des psychologues, se sont interrogés sur les points communs, les différences, les origines, les interprétations de ces mythes. Pour certains auteurs, la récurrence des motifs mythologiques provient de notre psychologie, ce sont des archétypes qui proviennent de notre inconscient collectif. Dans ce cas, les mythes, même s’ils se ressemblent, peuvent émerger de façon indépendante chez différentes populations. Mais d’autres indices suggèrent que les mythes ont une origine commune, ils suivent les peuples au cours de leur migration et évoluent au cours du temps.
Aujourd’hui, ça déborde, je vais vous parler du déluge. On trouve plusieurs centaines de récits de déluge dans les récits des origines des peuples de tous les continents. Bien sûr, en occident, le mythe de déluge le plus connu est celui de la bible. Mais savez-vous que l’on retrouve le mythe du déluge dans l’épopée de Gilgamesh, presque identique, les noms des personnages changent, mais il s’agit presque d’un copier-coller où l’on retrouve Outa-Napishtim, l’ancêtre de Noé, prévenu par une divinité qu’il doit construire une arche, ou plutôt une caisse en bois géante, afin de se sauver lui-même, sa famille et tous les animaux de la disparition. En considérant qu’il existe plus de 8,7 millions d’espèces vivantes sur Terre (c’est une approximation), même en enlevant les 2,2 millions d’espèces marines présumées qui savent nager, la boîte devait vraiment être énorme. Le voyage durant un an, il a fallu penser à toute la logistique : empiler des animaux tous mignons comme les poneys et les pandas à côté des tænias et des araignées poilues, ranger les stocks de bouffe pour toute la ménagerie, faire le ménage, par exemple, un éléphant fait plus de 100 kilos de caca par jour.
En Mésopotamie, il existe des mythes encore plus anciens, où c’est le dieu Ea qui prévient en songe le héros Atrahasis. Lui aussi doit fabriquer une arche pour sauver ses miches et embarquer avec lui tous les animaux. Comme il réussit dans sa tâche, Atrahasis devint un immortel, par contre, ses descendants auront une vie courte, touchés par la maladie et la vieillesse, cela afin de ne pas trop troubler la quiétude des dieux. Tous les animaux quittent l’air vicié de l’arche et peuvent retourner gambader, forniquer, dans les prairies ou dans les bois. Quand aux kangourous, ils n’ont plus qu’à retourner en Australie à la nage.
Des enfants qui chantent les exploits de Yu le Grand, près de son sanctuaire
Dans la mythologie grecque, Zeus étant fâché après les hommes qui sont décidément trop nuls, il fait pleuvoir comme vache qui pisse sur le monde pour exterminer la race humaine. Mais sur les conseils de Prométhée, un couple construit un grand coffre pour y mettre des réserves et se laisser flotter, en attendant que la colère de Zeus s’estompe.
En Inde aussi, on trouve de nombreux mythes de déluge. Dans l’un d’eux, Manu, alors qu’il se baignait dans une rivière, a été prévenu par un poisson qu’il y aurait bientôt une terrible inondation qui allait recouvrir la terre. Ce poisson était en fait un avatar de Vishnou. Il conseilla à Manu de construire un gigantesque bateau lui permettant de se protéger et d’abriter tous les êtres vivants et les graines des plantes. Après ce terrible déluge, Manu fit une offrande de lait et de beurre au dieu, pour le remercier. Le beurre et le lait se transformèrent en une jolie femme, et le couple ainsi formé est à l’origine de l’humanité.
Dans un mythe de Malaisie, quand l’humanité devient trop nombreuse, le dieu prévient quelques élus qu’ils doivent se mettre à l’abri, car il va tous raser. Dans les îles du Pacifique, le dieu prévient qu’un raz de marée va tout détruire, et que c’est le moment de construire des pirogues pour se sauver de l'humidité, je veux dire pour sauver l’humanité. J’arrête ici l’inventaire, en signalant toutefois que de nombreux mythes diluviens sont également retrouvés dans des légendes amérindiennes d’Amérique du Nord, ou précolombiennes en Amérique du Sud.
Yu le Grand stop le déluge
Souvent, le dieu crée le monde, puis les humains, mais comme il n’est pas satisfait, il détruit tout pour recommencer. Souvent aussi, c’est que le dieu est déçu par une grave faute de l’espèce humaine, ou seulement de la part de quelques individus, ils sont trop violents, ou méchants, ou trop bruyants, ou trop nombreux. Le dieu puni l’humanité. Ainsi, la fonction première du déluge serait de faire table rase du passé et démarrer une ère nouvelle, une renaissance. C’est une recréation. C’est l’humanité 2.0. Et le monde recréé après le déluge est souvent transformé par la mise en place de nouvelles lois, de nouvelles institutions, de nouvelle façon de vivre, de nouveaux rites, de nouveau rapport à, ou aux dieux. Le déluge explique ainsi le mode de vie des humains qui racontent et se transmettent ce mythe. Il explique aussi la transformation du monde.
Mais ces explications symboliques doivent probablement avoir une origine dans le monde réel, ces catastrophes mythiques pourraient avoir une part de vérité. Les déluges sont en effet les plus universelles des catastrophes géologiques. D’ailleurs, on sait que la fin du dernier âge glaciaire, il y a 12 000 ans, a entraîné l’augmentation du niveau des mers. Quand la Méditerranée a débordée dans une grande plaine et formée l’actuelle Mer noire, il est possible de supposer l’origine des mythes diluviens des populations environnantes.
On sait aussi que les premières grandes civilisations sont nées autour de grands fleuves : le Tigre et l’Euphrate en Mésopotamie, le Nil en Egypte, l’Indus en Inde, le Fleuve jaune et le Yang tsé en Chine. Parfois aussi, ces fleuves capricieux débordent. La mousson en Inde ou les tremblements de terre provoquant de terrible raz-de-marée au Japon, en Indonésie ou sur les côtes de l’Amérique du Nord, peuvent aussi expliquer les mythes locaux.
En Chine, il existe un mythe fondateur, la crue des hautes eaux, qui fonde la civilisation chinoise. En Chine, il n’y a pas de dieu créateur, donc pas de punition divine. L’histoire est plus pragmatique et je vais vous la raconter. La première dynastie chinoise serait la dynastie Xia, qui aurait été fondé par Yu le Grand il y a 4 200 ans, ou 4 070 ans, selon les sources. Concernant cette époque ancienne, on ne sait pas quelle est la part du mythe, et quelle est la part historique des premiers empereurs légendaires.
Temple de Yu le Grand à Shaoxing
Da Yu (Yu le Grand en chinois ou 大禹) n’a aucun rapport avec le dahu que l’on rencontre dans les montagnes savoyardes. Selon la légende, il y a bien longtemps, à cause des grandes inondations du Fleuve jaune, la terre ressemblait à un océan, l'eau était montée si haut qu'elle débordait des collines, des montagnes et même du ciel. Les maisons étaient détruites, et dans ces conditions, il était bien difficile de pratiquer l’agriculture, même pour le riz qui aime être inondé. L’inondation causant d’importants dégâts, on s’est mis à causer pour trouver des solutions. Les chefs de tribus se sont réunis pour proposer des idées. Mais comme le dit un proverbe chinois, « parler ne fait pas cuire le riz ». Il fallait agir. Yu était un homme perspicace, serviable, capable et laborieux. Aussi, il décida de maîtriser les eaux de ses propres mains. Il fit lever des hommes, procéda à une division des terres et entreprit la construction de canaux afin de drainer les eaux vers la mer et ainsi maîtriser les eaux des crues. Il organisa également des recherches pour comprendre le relief de la terre, l’hydrologie des fleuves. Il met au point de nouvelles méthodes, de nouveaux instruments de mesure. Il creuse des lacs, édifie des barrages. Il voyage dans toute la terre du milieu, c’est-à-dire la Chine, il arpente les terres du nord au sud, d’est en ouest, il rencontre un dragon, puis des géants qui se joindront à lui pour l’aider dans son aménagement du territoire. Il arrive même jusqu’au pays des nains. Par contre l’histoire ne mentionne pas de hobbit, DaYu n’a pas dû atteindre la Comté. Entre temps, il eu une brève histoire d’amour, s’est marié, eu un enfant, mais toujours en voyage, toujours au travail, il n’eu que rarement l’occasion de rentrer chez lui. En plus, ce n’était pas vraiment un romantique. En treize ans, il n’est passé que trois fois devant sa maison, et, en entendant des cris d’un enfant qui joue, il se disait que tout allait bien. Epuisé, fatigué, boiteux, à moitié hémiplégique, mais heureux du résultat, il finit tout de même par rentrer chez lui et devient empereur.
Da Yu est associé à la persévérance et à la détermination, il est vénéré pour son travail. C’est peut être la raison pour laquelle les chinois travaillent tout le temps ! Mais son épopée décrit aussi l’histoire de l’aménagement du monde et de l’avènement d’une ère nouvelle. La capacité de Yu le Grand à lutter contre les catastrophes naturelles a servi de modèle aux empereurs chinois. Da Yu, c’est un peu le héro civilisateur. Da Yu, c’est celui qui réussit, alors que son père avait échoué, d’où l’origine du proverbe chinois : « l’échec est la mère du succès ».
Au milieu des tours de la ville nouvelle, il y a des canaux dans l’ancienne ville de Shaoxing
Ces inondations ont-elles réellement eu lieu ? Da Yu est-il un personnage historique, mythique, ou un Goa'uld ? Cette année, une publication de chercheurs en géologie, dans la revue science, apportent des preuves qu’une inondation catastrophique a eu lieu en Chine il y a environ 4 000 ans. Cette date correspond, en Chine, à la transition du passage du Néolithique à l’âge de bronze et à la formation des premières structures étatiques chinoises. Le déroulement de l’inondation proposé par l’étude est le suivant : un tremblement de terre aurait provoqué dans le lit du fleuve jaune un éboulement de pierre, qui aurait réalisé un barrage d’une hauteur de 250 mètres, près des gorges de Jishi (dans l’actuelle province du Qinghai). Cela aurait conduit à la formation d’un grand lac dans lequel se déversait le fleuve jaune. Mais après 6 à 9 mois, le barrage s’est rompu, et toute l’eau du lac s’est déversée dans la plaine du nord, considérée comme le berceau de la civilisation chinoise. Cela aurait provoqué, d’après les calculs, la plus grande inondation dont on ait la trace depuis 10 000 ans. Cette gigantesque inondation aurait pu changer le cours du Fleuve jaune. Et c’est peut être la lutte contre les conséquences de cette catastrophe qui aurait aboutit à la création de l’État chinois. En effet, le travail de Da Yu a permis de rendre possible l’agriculture et de relier les neuf provinces de la Chine entre elles.
Aménagement du territoire, la ville nouvelle de Shaoxing
Les problèmes de maîtrise et de gestion de l’eau ont souvent été un problème au cours de l’histoire de la Chine. La Chine du sud concentre 80% des ressources en eau et subit encore régulièrement des inondations dévastatrices, tandis qu’à Pékin par exemple, il peut y avoir plusieurs mois consécutifs sans une goutte de pluie. Le réchauffement climatique global, un mythe inventé par les Chinois pour empêcher les États-Unis d’être compétitifs, selon Donald Trump, pourrait bien amplifier ce phénomène. On comprend ainsi l’impulsion donné par la Chine aux accords de Paris sur le climat.
Temple de Yu le Grand à Shaoxing
Récemment, je suis allé à Shaoxing (绍兴) parce que là bas, il y a le mausolée de Yu le Grand. A l’époque de Da Yu, Shaoxing était loin de Shanghai, mais aménagement du territoire oblige, la ville est maintenant plus proche, il faut 1h24 en train à grande vitesse pour y aller depuis Shanghai. C’est au sud de la ville qu’il y a les montagnes Kuaiji, et selon la légende, Da Yu serait mort ici. En fait, le mausolée date du VIe siècle de notre ère, mais il parait qu’il y avait déjà des offrandes et des sacrifices donnés sur le site avant cette date. Au pied de la montagne, il y a le sanctuaire et le temple Dayu Ling (大禹陵) avec une grande statue de Da Yu. A ses pieds, des têtes de bœufs et de cochons en guise d’offrandes, mais ce sont des fausses têtes en cire. Au sommet de la montagne, il y a un énorme Da Yu, majestueux (celui du temple est un nain en comparaison), il me fait penser au christ de Rio de Janeiro. En pleine gloire, une main tendue vers l’avant, un outil dans l’autre main, il planifie, il aménage la ville qui s’étend aujourd’hui sous ses pieds.
Mais en fait, ce n’est pas tant pour Da Yu que Shaoxing est célèbre, mais pour un autre personnage illustre, et cela je vous le raconterai lors du prochain épisode.
Yu le Grand sur sa montagne
Références :

Commentaires

Sabrina a dit…
Une nouvelle fois un post fort intéressant et instructif. A chaque fois tu donnes envie d'en savoir un peu plus sur les coins dans lesquels tu t'aventures et je t'en remercie.
Anonyme a dit…
très instructif,intéressant ,ardu pour mon petit cerveau BON NOEL mon petit fils