Village de Xidi |
Après ces moments dans le Jiangxi, L’Anhui venue, me voilà dans la province voisine. Dans le nord de l’Anhui (安徽), il y a de vastes plaines et des villes densément peuplées, tandis que dans le sud, moins habité, il y a du relief. Les montagnes, formées de grès et de granites, la végétation luxuriante et la brume ambiante sont une source d’inspiration pour les peintres et les poètes de la Chine ancienne à aujourd’hui. L’Anhui est l’un des berceaux de la civilisation préhistorique chinoise, la région était habitée il y a 2,5 millions d’années, autant dire depuis l’Anhui des temps ! Même qu’à l’époque l’écriture n’avait même pas encore été inventée ! Je vous passe les détails de toutes les péripéties et intrigues qui ont lieu au cours des différentes dynasties de l’histoire chinoise.
Végétation sur le HuangShan |
Alors qu’elle est une région agricole importante, l’Anhui était et reste une province pauvre notamment dans le milieu rural. De fréquentes périodes d’inondation ou de sécheresse n’ont pas facilité le développement de la région. Au début du siècle dernier, des paysans se sont engagés dans l’Armée de libération et le communisme, mais la Grande famine, provoquée par le Grand Bond en avant, a plus tard engendré plusieurs millions de mort dans la province. En 1962, Deng Xiaoping, suggère une rupture avec le communisme, il cite un paysan de l’Anhui « Qu’importe qu’un chat soit blanc ou noir, pourvu qu’il attrape les souris ». Mais d’ailleurs, l’Anhui, tous les chas sont gris ! Toutefois, très critiqué par les partisans de Mao, Deng a ensuite entamé une politique d’ouverture de la Chine.
En Chine, il ya les cinq montagnes sacrées pour le taoïsme, parmi elles, j’ai déjà fait l’ascension du Mont Song dans le Henan ; il y a les quatre monts bouddhistes, parmi eux, j’ai fait l’ascension du mont Emei, dans le Sichuan. Et puis il y a des montagnes qui ne sont sacrées pour personne, il n’y a aucun temple, mais qui présentent un intérêt pour leurs belles beautés. Dans l’Anhui, c’est le cas du Huang Shan, la montagne jaune.
J’ai passé l’Anhui à Tangkou, au pied de la montagne, la ville n’est en fait qu’une suite d’hôtels et de restaurants. La montagne jaune est en effet un des endroits les plus touristiques de la Chine, je m’attendais donc à voir du monde. J’arrive en milieu d’après-midi, il n’y a (presque) personne, rien ne se passe. En fait, tout le monde est dans la montagne. J’ai trouvé l’auberge de jeunesse grâce à mon téléphone portable. En effet, depuis peu, j’ai un téléphone, un smartphone comme on dit. En plus, il y a même internet. Quand ça fonctionne, je peux être connecté en permanence, être relié au réseau, être relié à mes amis, partagé en temps réel ma position, mes actions, mon mouvement, mes émotions, mes photos. Bref, le smartphone consacre à la fois le règne de l’individu (j’existe) et le règne du collectif (je suis relié au sein d’une communauté avec laquelle j’échange de l’information). Cet outil vient me faciliter la vie et me donne une formidable puissance sur le monde qui m’entoure. Je veux aller à l’auberge, je n’ai qu’à suivre le trajet sur la carte de mon téléphone. Depuis la Chine, je ne peux pas utiliser google map, pour des raisons de censure, ou de protectionnisme économique, mais ce n’est pas le sujet. Mais je peux utiliser l’application équivalente (en chinois !). Je n’ai qu’à me laisser guider. C’est très facile ! Alors au final, est ce que cet outil me donne plus de puissance ou au contraire m’enlève de la puissance ? Je veux dire que si je me laisse guider par la machine, peut être que je perds un peu de mon autonomie à me guider dans le réel, c’est un genre d’assistanat. En d’autres termes, Est-ce que le téléphone nous entrave ou nous libère ? C’est la première fois que je voyage avec un tel outil en poche et c’est la raison pour laquelle je me suis fais ces quelques réflexions philosophiques.
Je suis connecté en permanence, je suis facilement joignable, je suis en mouvement, je migre, et en même temps j’ai une adresse fixe, un numéro, un courriel. Je peux partager en temps réels mes sentiments avec une amie à l’autre bout de la Chine. Mais si mon amie ne répond pas, je peux devenir triste, ou frustré. Je suis en vacances, mais si je reçois un courriel pour le travail, est-ce que je dois y répondre ? A trop vouloir être relié avec sa communauté, ses amis, son travail, ne peut-on pas perdre le plaisir de profiter de l’instant présent, de son environnement immédiat, du ici et maintenant ?
Mon incartade pseudo-philosophie des techniques étant terminé, je reviens maintenant à mon sujet que j’évoquais plus haut, à savoir l’ascension du Huang Shan 黄山. Le caractère 黄 veut dire jaune, tandis que 山, c’est la montagne. C’est l’empereur jaune, qui serait venu ici chercher l’élixir d’immortalité, il y a belle lurette, et qui pourrait être la cause du nom de la montagne. En bas de la montagne, dans la vallée, c’est la ville de Tangkou avec ses alignements de restaurants et d’hôtels, il n’y a vraiment rien d’intéressant. Aussi, tous les repas que j’ai eu l’occasion de prendre dans cette ville n’étaient pas terrible, chose plutôt rare en Chine. De plus, il faut payer un droit d’entré assez conséquent, pour rentrer dans le domaine du Mont Jaune. Il y a de quoi rire jaune, je vous l’accorde. Mais c’est avec enthousiasme que je me suis levé de bon matin, le lendemain, afin de démarrer les hostilités et trouver la sérénité sur le chemin.
Pour faire l’ascension du Huang Shan, il y a deux tactiques, le choix entre deux marches à suivre : la première méthode, la plus facile, est de prendre le téléphérique. La deuxième marche à suivre, justement, la plus radicale, c’est de monter les marches, marche après marche. Si la seconde marche à suivre peut paraître plus fatigante, étant donné la longueur de la queue qu’il y avait pour prendre le téléphérique, j’imagine que la tactique consistant à grimper les marches est la plus rapide.
J’ai fait la plupart de l’ascension dans la brume, les nuages, entrecoupé par moment d’une courte éclaircie et j’ai saisie ces occasions pour faire quelques photos. En raison à la fois du climat, du relief, de la végétation, de la présence de la rivière Changjiang plus au nord, il y a en moyenne 258 jours de brouillard par année dans cette montagne. Mais cela apporte une certaine magie au lieu, une mystique, avec ces conifères embrumés, ces sommets qui apparaissent ou disparaissent au grès du vent et des mouvements de la brume. Parce que le paysage est mobile, changeant, l’ambiance est assez difficile à saisir en photo. C’est la vie aérienne de la montagne, c’est la contemplation de la brume, des nuages qui prennent forme, qui se déforment, et qui invitent à la rêverie, à l’imagination.
Il y a un proverbe chinois qui dit « Quand tu es arrivé au sommet de la montagne, continue de monter ». Si certain y voit l’idée de dépasser ces objectifs, de se surpasser, moi j’y vois plutôt une métaphore qu’une fois arrivé au sommet, on peut continuer à s’élever par l’imagination, se laisser aller à la rêverie par la contemplation.
Mais le problème majeur de l’approche du sommet, c’est l’absence de calme et de sérénité qui pourrait me pousser à la rêverie. La plupart des touristes arrivent au sommet par l’intermédiaire du téléphérique et marchent durant quelques kilomètres pour aller prendre un autre téléphérique qui va les ramener en bas. Une histoire de gravité et de grégarité. Je n’ai pas aimé cette étape, il y a beaucoup trop de monde. J’avais également eu l’idée de passer la nuit au sommet, mais c’est beaucoup trop cher : ils peuvent demander 1000 yuans pour la nuit (à titre de comparaison, j’avais dormi au sommet du mont Emei pour 50 yuans).
Alors je suis redescendu, par un autre chemin ; il est en effet possible de faire l’ascension et la descente du HuangShan en une journée. Mais l’air de rien, c’est une grosse journée. Je crois bien que c’est la descente qui m’a le plus fatigué, car j’étais encore frais une fois arrivé au sommet. C’est épuisant de descendre ces milliers de marches, j’en avais les jambes qui tremblent à la fin ! De plus, je me suis pris une belle pluie subtropicale durant la descente, il y avait tellement d’eau que même les escaliers se sont transformés pour l’occasion en petit torrent de montagne. Malgré mon vêtement de pluie et mon parapluie, j’étais trempé comme une soupe !
C’est les pattes pleines que j’ai de nouveau passé la nuit à Tangkou, et le lendemain, j’ai pris le bus pour me rendre à Xidi, non loin de là.
Xidi (西递) est un petit village bucolique dans la campagne. C’est un village Huizou, d’architecture similaire à ceux que je suis allé voir au Jiangxi. Ce sont des marchands qui s’installèrent dans la région (à Xidi, c’est la famille Hu), à l’époque des Ming, et qui firent d’abord fortune en vendant des produits locaux, le bambou, le bois, le thé. Puis, ils ont profité du monopole sur le sel accordé par l’empereur en échange de services rendus et se sont enrichis. Certains jouèrent aussi le rôle de banquiers et fondèrent des ligues dans les grandes villes de la Chine. Depuis, les descendants se sont appauvris et les maisons sont entretenues avec de modestes moyens. Elles restent souvent telles quelles au temps des bâtisseurs de l’époque. Les rues sont étroites, la circulation en voiture y est ainsi impossible, c’est vraiment paisible.
L’architecture, les décorations, sont influencés par les valeurs néo confucéennes de l’époque, la hiérarchie, le système clanique, l’importance de la famille, des préceptes moraux, le respect du fengshui (l’art du bon emplacement). J’ai pu visiter quelques maisons, ou du moins pénétrer dans la cour intérieure. A l’intérieur, il y a des décorations sculptées, parfois en pierre, souvent en bois. Il y a aussi de grands bâtiments, qui étaient des bâtiments publics de l’époque : ils avaient de nombreuses fonctions, le temple pour commémorer les ancêtres, ou les mariages, les fêtes et les réceptions, le tribunal pour juger, la politique pour prendre des décisions, ou les entretiens de sélection pour l’examen impérial (devenir fonctionnaire).
J’ai passé une belle journée dans le village et j’ai marché dans les champs et la campagne alentour. J’ai eu de tendres sourires et j’ai rencontré des étudiants en art qui viennent mettre en pratique leur talent à l’air libre. L’air libre à aussi quelque chose à voir avec le mouvement, avec l’imagination. J’étais également content d’observer des oiseaux, libres comme l’air, des espèces que je n’avais jamais vu auparavant. Dans l'Air et les songes : essai sur l'imagination du mouvement, Gaston Bachelard nous enseigne que «l'oiseau est l'air libre personnifié»; on se dit «léger, gai, indépendant comme un oiseau», capable de «voler de ses propres ailes», porté par « les ailes de l’imagination ».
De voir ces artistes en herbe, ça m’a donné envie de rependre la peinture. J’aimerai bien me hasarder à la peinture chinoise aussi. Mais le soir, j’ai été confronté à un autre domaine artistique. J’ai passé la nuit dans le village, j’ai partagé le repas et le repos avec les autres invités. L’un d’eux était accompagné de sa guitare et a poussé la chansonnette, la plupart du temps en chinois, mais aussi une chanson de Neil Young, qu’il a seulement fredonné, étant donné qu’il ne parlait pas anglais. Il m’a aussi avoué qu’il était un fan de Yann Tiersen et de la mélodie de l’hymne national français !
J’ai un collègue de travail originaire de Lu’an, c’est dans l’est de l’Anhui. Et depuis plusieurs semaines, il voulait que j’aille le voir dans sa région au moment des vacances. J’ai ainsi passé les deux derniers jours de cette période par là bas. Avec sa petite famille et son meilleur ami, nous sommes allés dans la réserve naturelle de Tiantangzhai, une zone boisée et montagneuse (les montagnes Dabie). Nous avons passé une journée à faire l’ascension d’une montagne, au milieu de la forêt, en longeant une rivière et s’arrêtant à proximité de quelques cascades. Nous sommes ici à la bordure des provinces de l’Anhui, du Henan et de l’Hubei et l’on peut apercevoir les trois régions du sommet. C’était aussi un lieu de cachette de groupes de brigands à une certaine époque. Mon ami m’a montré une grotte en me disant que quelqu’un se cachait là autrefois. Moi j’imaginais la grotte de Mandrin, à Dulin, en Savoie. Mais il semble que ces brigands n’aient rien à voir avec les rebelles communistes, si j’ai bien compris mon ami. Mais il devait aussi y avoir des repères de révolutionnaires dans le coin. La région de Lu’An est d’ailleurs surnommée le berceau des généraux en raison du grand nombre de personnes à avoir atteint ce grade dans l’Armée populaire de Libération.
Le soir, nous avons mangé un diào guō (吊锅), que je traduirai par « hang pot » ou « poêlon accroché », tous ensembles autour d’une grande table ronde. Sous le poêlon, le feu permet de chauffer l’ensemble du système, et la chaleur se diffuse aux aliments par quelques lois physiques comme la conduction, la convection et le rayonnement. Il y a un système de levage qui permet d’ajuster la température du plat pour obtenir la cuisson désirée.
La grande table ronde est également basse, et nous sommes tous assis sur des mini-tabourets, cela nous permet d’apprécier le repas dans une position avec les genoux à proximité des oreilles. C’est convivial et chaleureux, nous sommes armés de baguettes, afin de nous emparer du mets le plus exquis, ou bien, de façon plus pragmatique, le plus commode à attraper.
La grande table ronde est également basse, et nous sommes tous assis sur des mini-tabourets, cela nous permet d’apprécier le repas dans une position avec les genoux à proximité des oreilles. C’est convivial et chaleureux, nous sommes armés de baguettes, afin de nous emparer du mets le plus exquis, ou bien, de façon plus pragmatique, le plus commode à attraper.
Au cours du repas, l’Anhui est tombée, il est temps d’allé se coucher. Nous allons tous faire des rêves, beaux ou agités, ce processus complexe de réorganisation et reconstruction de notre mémoire. Le sommeil et les rêves nous aide chaque nuit, à partir des souvenirs, à construire nos réponses à l’avenir imprévisible qui nous attend le lendemain au réveil.
D'ici là, si vous voulez voir plus de photo, c'est par là qu'il faut aller.
Vous pouvez également soumettre vos critiques, interprétations, remarques, anecdotes, bref des commentaires.
Pour info, le h de Anhui se prononce comme un r, mais je ne pouvais évidemment pas donner cette information au départ.
A bientôt.
D'ici là, si vous voulez voir plus de photo, c'est par là qu'il faut aller.
Vous pouvez également soumettre vos critiques, interprétations, remarques, anecdotes, bref des commentaires.
Pour info, le h de Anhui se prononce comme un r, mais je ne pouvais évidemment pas donner cette information au départ.
A bientôt.
Commentaires