Régression circulaire et méthode des moindres carrés : Les Tulou du Fujian


Le groupe de Tulou Chuxi

La vérité est ailleurs

La vérité est ailleurs. Dans les années 1980, dans le contexte de la guerre froide, des satellites américains survolaient la Chine en prenant quelques photos, et c’est ainsi que sont apparues des photos de structures étranges et arrondies. Des conspirationistes y ont vu des vaisseaux spatiaux d’une civilisation extra-terrestre ancienne tandis que des agents de la CIA ont pensé qu’il s’agissait là de silo à missile nucléaire.
Avec Little Miss Tiny, nous sommes allés voir sur place ce qu’il en était vraiment. Pour ce faire, nous sommes allé le temps d’un weekend au Fujian 福建, c’est la province un peu plus à l’est du Guangdong, en prenant le train de nuit. Nous sommes arrivés dans la ville de Longyan vers six heures du matin, puis un chinois de passage nous a transporté avec sa petite moto dans l’air frais matinal jusqu’à la gare routière. De là, nous prenons un mini bus qui nous a trimballé et ballotté pendant deux heures sur des routes sinueuses et en travaux jusqu’à Liulian dans le conté de Yongding. Nous voici au cœur de la région des tulous. Mais qu’est-ce que c’est au juste ?
Les tulous (土楼), ce sont des « maisons de terre » si on fait une traduction littérale, ce sont des bâtiments en terre, en pisé et en bois, circulaires ou carrés et orientés vers l’intérieur. Ces maisons ont été construites entre le XIIIe et le XXe siècle, fondées sur une vie en communauté et répondant à des besoins défensifs, car à l’époque, il y avait des brigands et des pirates dans la région. Bien qu’elles soient construites en terre séchée, ce sont des espèces de forteresses très résistantes conçus pour résister aux incendies, aux tremblements de terre, aux inondations et aux invasions extérieures.
Ces maisons ont émergé de la Terre dans les vallées fertiles des régions montagneuses du Fujian. Elles sont inscrites sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco depuis 2008.
Ces maisons aux formes étonnantes ont été construites par les Hakka, une ethnie chinoise vivant dans le sud de la Chine, notamment au Fujian et au Guangdong. En fait les Hakkas sont des chinois Han, ils seraient originaires d’un peu plus au nord de la Chine, des plaines centrales ; ils ont été chassés lors des guerres accompagnant la fin de la dynastie Han au IIIe siècle. En français, on dit Hakka, mais en chinois, on dit kejia ren 客家人, littéralement « familles invitées » ou « familles qui ne vient pas d’ici », bref des migrants, des réfugiés, mais qui vivent ici, dans le sud de la Chine, depuis maintenant pas mal de siècle.
Leur statut de réfugiés, parfois discriminés, et leur installation dans des régions montagneuses, à l’époque encore en friche, a imposé aux Hakkas des difficultés, une frugalité ; et cela a participé à forger leur identité. Les Hakkas ont du se regrouper pour survivre et défendre leur bien. De culture chinoise, ils parlent le chinois mandarin mais aussi la langue hakka, ils possèdent un folklore particulier mais surtout, ils ont développés un sens encore plus aigu de la communauté que les autres chinois. Et cela est particulièrement visible dans leur habitat.

Le guide

Nous sommes arrivés de bonne heure à Liulian, c’est un peu le village au centre de la région des Tulou. Nous avions donc deux jours complets pour profiter du coin. Au centre du coin, ça ne veut pas dire grand-chose mais bref… C’est avec entrain, le cœur rempli de gaieté et d’allégresse, que nous nous apprêtons à visiter le centre des Tulous ronds et les quatre coins des Tulous carrés. Il y a des tulous partout, certains sont à proximité de Liulian et accessibles à pieds, mais d’autres sont localisés dans des villages à 20 ou 30 km de là. Pour y aller, il faut donc avoir une voiture ou une mobylette car il n’y a pas de transport public pour se rendre sur place.
Bien sûr, un chinois ne tarda pas à nous demander qu’il pouvait nous emmener où on voulait, contre rétribution. Je laissai d’abord Little Miss Tiny marchander un peu, nous choisîmes les villages où nous voulions aller en priorité, et nous voilà avec un chauffeur-guide tout frétillant qui va nous trimballer pour deux jours !
Alors Little Miss Tiny s’imaginait peut-être faire la visite avec une berline coupé-sport, mais à sa surprise, notre guide nous sorti sa bécane rutilante : une petite moto où nous nous sommes serrer tous les trois sur la selle unique. Oui c’était une moto toute option mais sans strapontin et elle permettait aussi un massage des fesses au franchissement des dos-d’âne. Nous enfourchâmes la bête et, les cheveux au vent, nous débutâmes l’aventure.
Si la plupart des tulous sont encore habités, quelques uns ont été rachetés par le gouvernement, qui, après rénovation, ont été ouverts au tourisme. Mais dans tous les cas, il est possible de visiter les tulous touristiques comme les tulous habités. Avec Little Miss Tiny, on s’est fait plaisir de visiter les connus et les hors sentier battus, les ronds et les carrés, les anciens et les plus récents, les tout beau et les en ruine.
Notre chauffard était plutôt bavard, notre chauffeur était plutôt baveur, et il nous a raconté un peu tout sur le mode de vie des habitants, les potins du coin et aussi un peu de politique. Little Miss Tiny me faisait ensuite la traduction. Je vais donc maintenant vous introduire un peu l’organisation de ces habitations communautaires.

L’habitat insolite des Hakkas

Le tulou peut être perçue comme un village-maison, un chalet de montagne circulaire ou une barre hlm en forme de donut, selon votre humeur plus ou moins poétique. Le lieu de vie est surtout au rez-de chaussé, il y a les cuisines, c’est là qu’on mange, que les enfants jouent, que les personnes âgées discutent. La disposition des habitats est verticale, du rez-de-chaussée au troisième étage, chaque famille dispose d’une tranche verticale identique, ce qui peut être considéré comme égalitaire. Au premier étage, ce sont des pièces de stockage pour entreposer les stocks de nourriture, au sec et à l’abri. Au deuxième et au troisième, il y a les habitations, notamment les chambres à coucher. L’intérieur du tulou est en bois, il y a des balcons qui donnent sur l’extérieur. Il n’y a pas de douche, ni de toilette, si l’on veut déposer son caca dans un lieu d’aisances, un espace sacré, c’est dehors sous le cabanon.
Sans transition, habituellement, il y a un espace réservé, au centre ou contre un mur, au culte des ancêtres. Comme je le disais plus hauts, les hakkas sont très attachés à leur famille, à leur racine. C’est un honneur de faire parti de la famille, de la filiation. Le culte des ancêtres est une des bases de la vie morale en Chine selon le confucianisme. Aussi faire une prière pour ses ancêtres, cela est en fait plus important que de faire une prière pour une divinité.
Le centre des tulous, à l’air libre, est donc le lieu de vie commun. C’est aussi là que les poules gloussent et caquètent, en liberté pour les plus chanceuses, enfermées dans des casiers pour les moins veinardes. Et hop, une grand-mère vient d’en chopper une qui va se faire cuisiner pour le repas du soir.
Les habitants ont aussi aménagés, aujourd’hui, des échoppes au rez-de-chaussée. On y trouve des produits locaux tel que du thé ou du miel mais également des posters de Mao et de Xi Jinping.
Ambiance chalet de montagne au centre d'un tulou carré
Selon la tradition, ce sont toujours les mêmes familles qui habitent les mêmes tulous, de génération en génération. 500 à 800 personnes peuvent habiter un tulou, c’était encore vrai au siècle dernier, mais les habitants permanents sont aujourd’hui moins nombreux, beaucoup sont parti travailler en ville et ne reviennent au tulou que pour les grandes occasions ou les réunions familiales comme le nouvel an chinois.
Notre chauffeur nous a fait la liste des avantages et des inconvénients du mode de vie communautaire. Bien sûr les habitants peuvent s’entraider, se soutenir en cas de difficulté, mais il cite le bruit comme désagrément. Il y a aussi des histoires de famille, il faut savoir supporter son cousin ou sa belle sœur qu’on exècre par exemple, mais qu’on peut avoir sur le dos toute sa vie.
Nous nous amusions avec Little Miss Tiny à faire des photos sur fond de mur en pisé. Je faisais des gros plans sur le mur. Je m’approchais et je m’aperçu que le tulou repose en fait sur de grosses pierres qui constituent le mur de sous-bassement. Ces pierres tiennent ensemble avec du mortier, probablement mis au point par une civilisation extraterrestre avancée : c’est un mélange d’argile, de chaux, de sucre roux, de sable, de riz gluant et des œufs fermentés qui servent de liant. Non non ce n’est pas une blague. Il y a une histoire d’amylopectine, mais ça c’est mon côté biochimiste qui ressort.
A l'intérieur d'un tulou rond
Le tulou est un peu un paradoxe. Lorsqu’on s’approche, vue de l’extérieur, on a l’impression d’être face à une enceinte fermée, il y a peu de fenêtre et il n’y a qu’une seule porte. Mais à l’intérieur, c’est différent et impressionnant, l’espace est ouvert, on est connecté à l’extérieur, l’intérieur est chaleureux, familiale. L’intérieur et l’extérieur s’interpénètre.
Le tulou, c’est un peu comme un abri à ciel ouvert.
Je pourrai également parler de la sensualité des courbes et de la volupté des carrés. Mais je pourrai également faire quelques analogies alimentaires. Lorsque nous étions montés sur les collines environnantes le groupe de Tulou de Tianluokeng, nous pouvions voir, vue d’en haut, un tulou carré et quatre tulous rond, ainsi disposé tel un plat et des assiettes. Enfin c’est les chinois qui disent cela, mais vous savez, ils ne pensent qu’à la bouffe.
Le groupe de Tianluokeng
Autour des tulous, il y a souvent des rizières en terrasses, comme mon papa aime. Mais à la saison où nous y étions, le riz avait déjà été récolté.
Néanmoins, insolite et pittoresque, lors de notre visite, c'était le temps des kakis, vous savez, ce truc qui ressemble à une tomate, mais qui pousse dans les arbres. Bon moi je croyais que c'était des oranges, mais mon expertise en kakis est un peu limitée. Ces jours-ci, tous les kakis se prélassaient au soleil à l'entrée des tulous.
Des tulous, y'en avait partout. Et entre deux toulus, il y avait un tulou qui émanait des vapeurs d'alcools. Dans ce tulou alcoolo, les habitants fabriquaient du vin. Un alcool de riz fermenté. Habituellement, je n'aime pas ce type de liqueur, mais nous avons goûté, et celui-ci était vraiment parfumé et sucré. D'ailleurs, nous en avons même ramené une bouteille à la maison.
Nous avons visité de nombreux tulous encore habités, mais nous n’avons pas boudés le plus fameux d’entre eux, le Chengqi Lou, le bien nommé « King of Tulou ». Ce tulou n’est plus habité, il a été rénové et uniquement dédié au tourisme. Des hordes de touristes, des voyages organisés, défilent ici tout au long de la journée, dans le bruit des mégaphones. Mais notre guide nous a informés qu’il fallait venir ici le soir, à 18 heures, car il n’y a plus personne. Et c’était vrai. Nous pouvions gambader à notre guise dans les ruelles, à l’intérieur du tulou, et nous grimpâmes dans les étages où nous avions ainsi une vue sur la structure d’ensemble. En fait une vue sur les toits. Le « King of Tulou » est en réalité le plus grand de la région. Il a été construit en 1709. C’est une structure massive formée de quatre cercles concentriques. Au centre, c’est le hall des ancêtres. Nous pouvons marcher tout autour, le long des balcons, tel un chemin de ronde. Tout autour, il y a des drapeaux chinois, le rouge avec les étoiles, pour la propagande.
Le King of Tulou avec le temple des ancêtres au centre
Le cercle, le rond, c’est le symbole de la totalité, de l’unité, de la communauté, de l’harmonie, de l’union. C’est une forme d’organisation de l’espace. Il y avait d’ailleurs à l’époque un maître fenshui qui donner des conseils sur le lieu de construction et la disposition du bâtiment : comment harmoniser les énergies d’un lieu pour favoriser la santé et la prospérité des habitants. Mais plus prosaïquement, avec le système d’habitat communautaire, dans les tulous carrés, il y avait des familles qui avaient de beaux appartements, et d’autres, au niveau des coins, avaient des appartements tout mal fichus. La disposition circulaire a réglé le problème.
Nous avions dormi dans un tulou mais celui-ci n’était pas rond. C’est le Fuyu Lou, je trouvais ce nom rigolo alors nous avons dormi là. Le bâtiment est en pisé et en pierre, avec des poutres et des piliers en bois sculpté et le parquet d’époque qui couine lorsqu’on marche dessus. Le propriétaire a aménagé ce tulou en auberge, il y a des chambres et un restaurant dans la cours. Nous y avons mangé le soir, sous les lanternes rouges, dans un décor historique, c’était un peu romantique. Nous avons ensuite passé la nuit dans un lit en bois à baldaquin, dans son jus, un peu décoloré, mais c’était une expérience un peu originale.
Le Fuyou Lou où nous avons dormi
Le lendemain matin, notre chauffeur est venu nous chercher au petit déjeuné et après avoir bu notre thé, nous enfourchions déjà la bécane pour parcourir la campagne à la recherche du plus beau des tulous. Mais maintenant, vous savez déjà tout(lou) !
Pour conclure, voici une petite video trouvée sur Internet pour avoir une vue aérienne des lieux (vers 1min30, il y a le tulou dans lequel nous avons dormi).
À bientôt pour de nouvelles aventures.

Commentaires

Une autre façon de résoudre la quadrature du cercle ?
Et puis le pisé, c'est un peu comme en Dauphiné...