Des mots confus, des mots Confucius

Relief de l'époque Han
Le maître dit : « Le plus grand voyageur est celui qui a su faire une fois le tour de lui-même ».
C’était en 2017, je suis allé dans le Shandong. C’est une province maritime, à l’est de la Chine, en forme de péninsule sur la mer Jaune. La pêche est ainsi une activité importante de la région, et les ports commerciaux ont entraîné une influence des japonais et des coréens sur les côtes, ainsi que plus tard les Allemands avec la ville de Qingdao. C’est d’ailleurs de là que vient la bière Tsingtao, la bière la plus vendue au monde.
Mais pour ma part, je n’ai pas vue la mer car c’est dan les terres que j’ai passé quelques jours dans la région. Le Shandong, c’est le lieu où est né et où à vécu Confucius, un philosophe, ou un penseur, qui a marqué la culture chinoise jusqu’à aujourd’hui.
Ainsi, vous l’aurez compris les amis, je vais aujourd’hui vous parlé de Confucius.
J’introduis tout d’abord le contexte historique du personnage. Pendant l’antiquité chinoise, la période des Printemps et Automnes, qui voit le déclin de la dynastie Zhou, est suivit de la période des Royaumes combattants, du Ve au IIIe siècle avant notre ère, au cours de laquelle des principautés s’affranchissent de la tutelle Zhou et entrent en compétition. Mais c’est dans cette période d’instabilité et de guerres civiles, dans ce monde en bouleversement, qu’apparaissent les « 100 écoles de pensée » qui proposent différentes visions de ce que devrait être une bonne société. C’est ainsi une période de débats d’idées, de polémiques et de controverses. Quel est le rôle de l’état ? Que signifie être une bonne personne ?

C'est qui ce Confucius ?

Confucius est né en 551 av. notre ère et à vécu la plupart de sa vie dans l’état de Lu, dans l’actuel Shandong. Je précise aussi tout d’abord que son vrai nom en chinois est Kǒng Fūzǐ (孔夫子) ou Kǒngzǐ qui se traduit par maître Kong, Kong étant son nom de famille. Confucius est une version latinisée donné plus tard par les européens.
Dans sa jeunesse, Confucius s’est intéressé aux livres classiques de l’antiquité chinoise, puis il est devenu scribe, responsable politique et conseiller auprès du prince. Il a d’ailleurs souvent été déçu que les puissants n’écoutaient pas ses conseils pour bien gouverner. Par ailleurs, à 29 ans, il ouvre une école, c’est alors qu’il commence son enseignement. A 53 ans, il abandonne son poste de ministre et part pour 14 années d’errance, il voyage dans plusieurs principautés de la Chine de l’époque, au pays de Wei, au pays de Chen, au pays de Song, de Cao et de Cai. Il continue d’exposer ses convictions politiques mais ne réussit pas à les mettre en œuvre. Il est toutefois accompagné de disciples et forme de nouveaux élèves qui seront de futurs serviteurs de l’état mais aussi des propagateurs de sa pensée. Il retourne ensuite au pays de Lu et continua son enseignement jusqu’à sa mort à 72 ans. Il est enterré à Qufu.
La pensée de Confucius est aujourd’hui connue à travers les Entretiens de Confucius (Lunyu), un livre rédigé par ses disciples. Il s’agit de dialogues du maître avec ses disciples, ou parfois avec des ermites ou des hommes politiques puissants, un peu à la manière de Platon et Socrate. Ses paroles sont introduites par « le maître dit : », puis Confucius expose sa pensée. Par exemple, il aurait pu dire : « Je n’ai jamais dit la moitié des conneries que les gens me font dire ».
La pensée de Confucius nous parle à la fois d’humanisme et de politique. Elle traite des relations entre les hommes et de l’art de gouverner. Le ren 仁, le « sens de l’humain », est ainsi une notion essentielle de la pensée de Confucius. Il expose aussi une forme de sagesse et recherche un souverain qui voudrait bien appliquer sa voie pour bien gouverner le monde. Un bon gouvernement garantit la stabilité sociale. Ainsi, Confucius, comme beaucoup d’autres penseurs chinois, privilégient l’ordre et l’harmonie. Dans le confucianisme, il y a l’idée de bien gouverner les autres, mais aussi de bien se gouverner soi-même. C’est la « culture de soi », un exercice sur soi par l’étude, le xue.
« Apprendre quelque chose pour pouvoir le vivre à tout moment, n’est ce pas là source de grand plaisir ? Recevoir un ami qui vient de loin, n’est-ce pas la plus grande joie ? ». Voici une phrase de Confucius souvent cité dans les labos en Chine, lorsqu’on introduit un invité étranger en vue d’une collaboration, au début de la réunion.
Une entrée du temple de Confucius
Pour Confucius et ses héritiers, les relations entre les hommes, les rapports sociaux, sont avant tout géré et gérable par des marques extérieurs de respect. Les rites ont un rôle social, ils permettent de prévenir les dérives du caractère humain, source de déstabilisation de l’ordre social. Il y a donc une éthique, une morale dans la pensée de Confucius. Il y a une droiture. De plus, Confucius était révulsé par la violence. En particulier, il n’aimait ni le désordre politique, ni la violence politique.
Mais il y a aussi un côté très conformiste, conservateur, je dirais un peu réactionnaire avec mes mots actuels. Confucius vivait dans une période trouble, il voyait dans le passé, la période des Zhou, un âge d’or. Pour Confucius, afin d’être un homme bien, il y avait une manière de se comporter, de se tenir, de penser, il fallait se conformer aux bonnes mœurs. La piété filiale était pour lui essentiel. De plus, l’harmonie sociale, au sein d’une famille, au sein du pouvoir politique, nécessitait une hiérarchie, un statut dans l’échelle sociale, chacun son rôle, chacun à sa place. Toutefois, la noblesse est celle du cœur et non celle du sang, l’apprentissage de Confucius est ouvert à tous.
Les Entretiens expriment l’importance de l’étude, de l’éducation, le xue 学. « On ne naît pas homme on le devient » aurait dit Erasme mais aussi des philosophes grecs. On retrouve à peu près la même phrase dans le bouddhisme et dans la pensée de Confucius. Être humain, ce n’est pas donné, c’est quelque chose qui se construit. Selon Confucius, apprendre permet de s’améliorer.
Vous connaissez déjà l’importance de l’éducation en Chine, l’enseignement scolaire y a près de 3000 ans d’histoire, même si une minorité y avait accès. Quand je discute avec des étudiants aujourd’hui, beaucoup me disent qu’ils apprennent pour s’améliorer mais aussi pour progresser dans l’échelle sociale et réussir dans le milieu professionnel. Au sein d’une famille, un enfant qui n’accède pas à l’université est perçu comme un échec.
Mengzi (Mencius en latin) est né environ 250 ans après Confucius, il a aussi voyagé dans plusieurs royaumes, conseillé des princes et commenté l’œuvre de Confucius. Il a réfléchit sur la nature humaine, il pensait que l’homme est naturellement bon, c’est la société qui le rend mauvais. Ainsi je le rapproche un peu de Rousseau. Pour Xunzi, un autre confucéen, au contraire : « La nature de l'homme est mauvaise; ce qui est bon en elle est fabriqué ». L’éducation était ainsi aussi pour lui essentiel, il prônait une éducation stricte et sévère.
Il y a en fait énormément d’autres philosophes qui ont ensuite commenté, interprété, l’œuvre de Confucius. C’est le confucianisme, une école philosophique, morale et politique, qui a régit le système de pensée de la Chine, et qui a aussi influencé le Vietnam et la Corée. Mais confucianisme, c’est un mot français, en Chine, on dit rujia « école des lettrés » ou ruxue « enseignement des lettrés ». L’empereur Han Wudi, au IIe siècle avant notre ère, impose le confucianisme comme doctrine d’État, et cela va durer jusqu’à la fondation de la république de Chine en 1911. Au IXe siècle, divers courant vont constituer le néoconfucianisme. Mais dans tous les cas, connaître les Classiques était essentiel pour les fonctionnaires, notamment pour la réussite des examens impériaux.

Un voyage à Qufu

La ville de Qufu (曲阜) est entourée de muraille. Toutefois, c’est facile d’y aller en prenant la ligne de TGV entre Shanghai et Beijing. C’est au beau matin d’une journée d’août que j’arrive en ville. Au milieu de la vieille ville, je tourne autour de la tour du tambour, au centre d’un rond-point, entre les touristes et les locaux qui vont au travail. Quelques restaurants permettent de choisir un petit-déjeuner, des nouilles, des jiaozi ou des pains cuits à la vapeur.
C’est donc à Qufu qu’est né Confucius et il y a vécu une partie de sa vie. Je vais maintenant explorer ses traces. A Qufu, il y a donc les trois kongs, trois monuments en souvenir de maître Kong, le temple de Confucius, sa maison natale et le cimetière de Confucius.
Les murailles de Qufu

Un temple pour se souvenir et célébrer le maître

Le temple a été construit à l’emplacement de la maison de Confucius, il était à l’origine très modeste mais il a beaucoup évolué au cours des 2500 ans de son histoire. Il a été détruit par vandalisme ou par incendie plusieurs fois, mais il a toujours été reconstruit, réparé, restauré. Les bâtiments que l’on visite actuellement datent de l’époque des Ming, vers 1730, puis Qing, puis restaurés après avoir été endommagés pendant la révolution culturelle de 1966. 
Ainsi, je peux visiter le « hall de la poésie et des rites », le « palais des traces du sage », les divers bâtiments, rouges aux toits jaunes, rappellent ceux de la cité interdite. Des petits ponts de pierre permettent d’enjamber des ruisseaux et relier un pavillon à l’autre. Des décorations ou des sculptures représentent des dragons ou des tortues. Le palais Dacheng est le plus grand bâtiment du site. Il permettait d’effectuer des rites et des sacrifices en hommage à Confucius. Le temple est aujourd’hui un musée, il est sur la liste du patrimoine mondial de l’humanité. Je m’intéresse ainsi aux expositions de reliques, des objets de la Chine ancienne nécessaires aux rites et aux sacrifices, à la calligraphie. J’ai bien aimé le pavillon où sont exposés des sculptures et des fresques de l’époque de la dynastie Han. L’empire Han a régné en Chine entre 200 avant notre ère et 200 après notre ère, il est un peu comparable à l’empire romain en Europe.
Le temple de Confucius
Non loin du temple, je vais ensuite visiter la demeure des descendants de Confucius. Il s’agit d’un ensemble de maisons en briques grises dans le style Ming. Je profite des décorations intérieures, de l’ameublement, qui sont bien évidemment bien postérieur à Confucius. C’est quand même intéressant d’imaginer que des descendants ont vécu ici, pendant près de 2500 ans de génération successive, à prendre soin du temple, effectuer les rites et transmettre le savoir du maître. La famille a été anoblie sous la dynastie Han et porte donc le titre de duc. C’est probablement la plus grande dynastie du monde connue. Les descendants de Confucius ont vécu ici jusqu’à la révolution culturelle, époque à laquelle ils ont du s’exiler à Taiwan. Enfin, derrière la résidence, il y a un jardin chinois typique avec un étang rempli de ses poissons rouges.
Le cimetière de famille

In the garden

Confucius est mort à 72 ans, à Qufu, il a été enterré sous un simple tumulus de terre. Puis ses disciples ont planté des arbres tout autour de la tombe, des pins, des thuyas et des acacias, des genévriers et la place est ainsi devenue la « forêt du grand sage ». Il a aussi été entouré de la tombe de sa femme, de son fils, puis de ses petits-enfants, et ainsi de suite. Le cimetière des Kong héberge ainsi tous les descendants de Confucius, jusqu’à aujourd’hui. Ainsi, je traverse une belle forêt composée d’arbres et d’un enchevêtrement de stèles de pierre. Il y a peu de monde, et je profite du calme et de la sérénité des lieux. Je prends garde car des animaux et des gardes en pierre surveillent le chemin, avant d’arriver à la tombe du maître, également observé par des caméras de surveillance. Il y a seulement une stèle devant un tumulus, rien d’ostentatoire, mais c’est juste la seule tombe fleuri de tout le parcourt. 
La tombe de Confucius
La pensée de Confucius a souvent été instrumentalisée, utilisée comme idéologie d’Etat, les fonctionnaires devaient organiser des cérémonies en son honneur, l’Empereur y voyait un moyen d’assurer sa légitimité et de maintenir l’ordre. Mais au 20e siècle, on pensait que Confucius représentait le conservatisme et le côté sous-développé de la Chine. Il était assimilé à l’héritage traditionnel de la Chine, et par conséquent, pour que la Chine se modernise, il fallait se débarrasser de Confucius. La révolution de 1919 tourne le dos à la tradition. Mao lui-même annonça la désacralisation du sage et le confucianisme fut interdit. Toutefois, après la mort de Mao, il y a encore eu un retournement. On assiste à un retour des « valeurs confucéennes » sur fond de nationalisme, un retour aux racines, à l’identité chinoise. Le président actuel s’y réfère souvent par des citations bien placées en prônant « l’harmonie sociale » dans son « socialisme à caractéristiques chinoises ». En 2015, il publie un livre, mis en vitrine dans toutes les librairies, propagandes obliges : « Xi Jinping connaît ses classiques ». À l’école, les élèves doivent aussi connaître par cœur des citations du maître. La multiplication des Institut Confucius dans le monde entier est également une des stratégies de l’exportation de l’idéologie chinoise.
Il existe toutefois encore des débats au sein même du gouvernement. Un exemple célèbre est celui du mystère de la statue de Tiananmen. En 2011, une statue immense de Confucius est inaugurée sur la place Tiananmen, en face de la statue de Mao. Mais trois mois plus tard, la statue a disparu au cours d’une nuit. Aucun officiel ne s’est exprimé sur cette disparition. Mais ce revirement doit correspondre à d’intense débat au sein même du Parti communiste chinois : entre ceux qui adhérent aux valeurs confucéennes et ceux pour qui cette statue était un blasphème envers le marxisme.
Voilà, que deviendra le confucianisme dans le futur ? Confucius serait sans-doute surpris qu’on parle encore de lui à l’ère post-moderne, où l’on ne parle que d’innovation, alors que lui, justement, voyait la bonne société dans le passé, celle de l’époque des Zhou.
Mais Confucius n’a pas toutes les réponses. Lorsque Confucius était interrogé, il ne donnait pas de solution, mais une réponse qui devait enclencher la réflexion chez son interlocuteur. « Etudier, c’est avancer, ce n’est pas atteindre ».
Les livres qui vont bien :
Rémi Mathieu, Confucius, 2011.
Anne Cheng, Histoire de la pensée chinoise, 2014.
A la radio:
Anne Cheng sur France culture à propos de Confucius. Les chemins de la philosophie 2017.
Alexis Lavis sur France Culture, Qu'est-ce que le ren Les chemins de la philosophie 2017.

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