La forme de l’eau… La Birmanie (6)

Pêcheur sur le lac Inle

« Une goutte d’eau suffit pour créer un monde »

« Une goutte d’eau suffit pour créer un monde » dit Gaston Bachelard, une multitude de gouttes d’eau créent un lac, lui-même un univers-monde. Je vous emmène maintenant découvrir un des sites touristiques majeur de la Birmanie, le Lac Inle dans l’État shan, à l’est du pays.
Après la randonnée depuis Kalaw, ma première rencontre avec le lac a eu lieu lors de la traversée en pirogue, pendant une heure, pour rejoindre l’autre rive, à Nyaung Shwe, là où sont les hôtels bon marché. J’ai ensuite passé trois jours autour et sur le lac, en bateau et à vélo.
Le lac à une forme allongée, avec une longueur de 22 km pour une largeur de 10 km, mais il n’est pas très profond. Il est situé à 900 mètres d’altitude, entouré de montagnes ou de collines.
Les jardins flottants
Alors que les Pa-O, les Shans et les Danu vivent sur les collines, l’ethnie Intha (les fils du lac) s’est installé autour du lac au XIVe siècle. Ils habitent dans des maisons de teck et de bambous, sur pilotis, dans de véritables villages lacustres. Ils vivent de la pêche et de l’artisanat, le tissage, la bijouterie, la vannerie. C’est seulement depuis un siècle que les Inthas ont mis en place un système de jardin flottant. C’est en profitant de la prolifération de la jacinthe d’eau que les habitants ont installé un système d’agriculture originale sur le lac. La jacinthe d’eau forment des masses flottantes qui s’accumulent sur les bords du lac et captent les sédiments, ces structures sont ensuite découpées par les habitants. Les îles flottantes ainsi obtenues sont maintenues par des piquets de bambous, recouvertes de limons et utilisées pour cultiver des légumes, surtout des tomates, mais aussi des fleurs.
La terre et l’eau se confondent, s'entremêlent, et c’est ce qui fait tout l’intérêt et la beauté des paysages. Les repères sont brouillés, c’est l’entre-deux, et c’est ce qui crée un espace nouveau, une zone humide.
J’ai passé une journée à pédaler à vélo autour du lac. Il y a plusieurs villages, tout le long du lac, certains sur les berges du lac et d’autres littéralement sur le lac.
A un endroit, j’ai trouvé une colline avec des escaliers couverts pour en faire l’ascension. Au sommet, il y a un temple bien évidemment, mais aussi une très jolie vue sur le lac et le village en contrebas.
Village lacustre sur la Lac Inle
J’ai rencontré le couple de français avec qui j’avais randonné le jour précédent. Un long ponton en bois nous a conduits à la lisière d’un village et nous avons continué la visite en pirogue. C’est vraiment apaisant, il y a le bruit de l’eau, le clapotis de la rame à son contact, le murmure du flottement du bateau, les ondes qui se propagent à la surface. Chacune des maisons n’est accessible que par voie lacustre, nous voguons entre elles, sur de petits canaux qui servent de ruelles. Une petite fille, seule, debout sur sa pirogue, rame avec un pied pour rejoindre une autre maison. À son âge, je n’étais certainement pas aussi dégourdi.
Les pirogues à rames sont utilisées pour se déplacer dans les canaux à l’intérieur des villages, ou sur de courtes distances, mais pour traverser le lac où se rendre dans un village plus éloigné, il faut utiliser des bateaux à moteur assez bruyant.
Mon hôtel se situait sur les rives du port de Nyaung Shwe, et un matin de bonne heure, j’ai négocié le tarif d’une excursion avec l’un des pilotes qui n’attendait que moi. Au début, je pensais partager les frais avec d’autres voyageurs, mais finalement, il n’y avait que moi à ce moment là et les prix ne sont pas excessifs. Me voilà donc tout seul, assis comme un roi au milieu du « long boat » avec mon capitaine à l’arrière, la main sur le moteur, prêt à parcourir tous les recoins du lac.
Les longues pirogues sur le port de Nyaung Shwe

Villages lacustres, pêcheurs et artisans du Lac Inle

Au petit matin, le lac est dans la brume, elle envahit tout et devient l’espace-même, la frontière entre le lac et le ciel est brouillée, entre la terre, l’eau et le ciel, je suis dans l’entre-trois, mais assez rapidement, avec la chaleur du soleil, le brouillard s’effile, les montagnes réapparaissent, les couleurs deviennent plus contrastées.
Les pêcheurs du Lac Inle
Fisherman Inle Lake
Tel des pics verticaux sur l’horizon du lac, des pêcheurs s’affairent. Debout sur leur pirogue, ces équilibristes de la pêche ont une longue rame coincée sous un bras, qu’ils peuvent manipuler grâce à l’un de leur pied, la jambe enroulée autour de la rame, et ainsi diriger le bateau tout en ayant les deux mains libres pour manipuler le filet de pêche. Il y a en fait deux types de pêcheurs, ceux qui pêchent au filet et ceux qui pêchent avec une grande nasse, le saung. Cette dernière méthode a toutefois tendance à disparaître mais est conservée en tant que folklore et symbole pour le tourisme.
Des nuées de mouettes poursuivent quelques pirogues qui ramènent probablement du poisson. Des cormorans se font chauffer les ailes au soleil tandis que des canards barbotent. L’écosystème du lac est également un lieu de repos pour les oiseaux migrateurs.
Sur le lac, il y a aussi de nombreux ramasseurs d’algues d’herbes aquatiques, ils draguent le fond du lac avec de longues perches, leur récolte sera ensuite utilisé pour fournir une terre cultivable aux jardins flottants. Je les vois de loin, avec un long bâton, à contre jour et une légère brume, la scène semble surréaliste et poétique. On dirait qu’ils dansent.
Inle Lake
Puis nous allons dans un autre village lacustre. Les canaux servent de ruelles entre les maisons sur pilotis, d'autres canaux plus larges sont les avenues, les maisons sont en matériaux bruts ou parfois colorées, il y a des vieilles bicoques alors que d’autres ont l’air plutôt confortables. Mais dans tous les cas, un débarcadère à pirogue est nécessaire pour y accéder. Je croise une pirogue pleines d’enfants, ils doivent aller à l’école, c’est le ramassage scolaire.
Toutes les maisons semblent avoir accès à l’électricité, des fils et des câbles électriques accrochés aux poteaux longent tous les canaux. Les habitants mangent à la terrasse de leur maison, écoute la radio, du linge est étendue aux fenêtres, la vie a l’air plutôt paisible.
Au passage, mon capitaine m’arrête à une fabrique de tissus et c’est plutôt intéressant. Une des spécialités du lac, c’est le tissus en fleur de lotus, une matière à mi-chemin entre la soie et le lin. Une dame me montre son travail, c’est à partir d’une tige de lotus qu’elle extrait un long filament, elle agglomère ce filament avec d’autres, ce qui abouti à la longue à un fil utilisable pour le tissage. À l’étage de la maison, il y a les tisseuses, elles tissent donc le fil de lotus, mais aussi la soie et le coton, pour en faire des écharpes, des couvertures ou des vêtements. Tout est fait à la main, une fille utilise son métier à tisser, entièrement en bois, elle semble toute désarticulée en suivant les mouvements de la machine. Toutefois, avec ses doigts longs et fins, son rond de thanakha sur les joues, ses yeux en amande, et sa longue robe, elle a un charme et une élégance indubitable.
Dans une autre maison, il y a un groupe de femmes aux longs-cous, elles font partie du groupe ethnique des Padaung. D’un côté je suis un peu gêné, je ne sais pas si elles sont disposées ici comme une attraction, une étrangeté. Elles travaillent également au tissage. Il y a une dame âgée et d’autres filles plus jeunes, ce qui signifie que la pratique ce fait toujours de nos jours. Un collier métallique en spirale déforme le corps des femmes qui le porte et au fil des années, en ajoutant un anneau, leur cou semble de plus en plus long. Une des filles parlant anglais, j’ai pu discuter avec elle, elle ne semble pas dérangée par la situation, qu’elle a choisie afin de perpétuer la tradition.
Mon périple me conduira jusqu’à In Dein, complètement au Sud du lac. Un peu plus au Sud. Ce n’est pas un village flottant, il faut remonter le cours d’une rivière pour l’atteindre. Le long des berges je vois encore quelques scènes pastorales, quelques bovins qui broutent, une jeune fille qui me sourie en lavant son linge, un groupe qui profite de la rivière pour prendre un bain. Puis nous nous enfonçons dans une partie un peu plus boisée, nous remontons des rapides, en fait des mini-barrages de bambous pour rendre le cours de la rivière navigable. Il y a encore quelques remous lorsque nous croisons une autre embarcation qui s’en dans l’autre sens et projette quelques embruns sur mon visage.
Enfin, nous arrivons au village et un ponton de bois me permet de rejoindre une grande place. Au marché, divers ethnies descendent des montagnes pour vendre fruits et légumes, épices, tissus et vêtements. Il y a aussi un marché d’artisanats, pour les touristes et voyageurs de passage. C’est un déluge d’ombrelles colorées, de masques en bois, de sculpture de bouddhas de toutes tailles, de laques gravés, des cloches, des tissus, des sacs, des bijoux et autres merveilles.
Sur une colline surplombant le village, il y a encore une centaine ou des centaines de stupas en briques, dressés les un contre les autres, telles des cheminés d’usines, certaines en ruine, d’autres fraichement restaurés et dorés.
Je retourne au débarcadère retrouver mon capitaine, celui-ci est en train de se baigner, le visage tout souriant, il prend du bon temps. Nous embarquons de nouveau dans la longue pirogue, moi sur mon siège au milieu, lui au fond, s’occupant du moteur et de la direction. Et nous reprenons le cours de la rivière, cette fois en direction du lac. L'eau n'a pas de forme, sa nature est de s'écouler, et nous suivons mâtinant le courant. Nous traversons de nouveau la petite jungle, puis les paysages champêtres, les jardins flottants, puis nous naviguons de nouveau sur le lac, cet œil immense qui reflète les montagnes autour.
« Le lac est un grand œil tranquille. Le lac prend toute la lumière et en fait un monde. Par lui, déjà, le monde est contemplé, le monde est représenté. » écrit Gaston Bachelard dans L’eau et les rêves.
Au milieu du lac, le monastère Nga Phe Chaung est construit en bois de tek et lui aussi édifié sur pilotis. À l’intérieur, de nombreux bouddhas en bois sont alignés, assis sur des trônes, ils me regardent de leurs yeux mi-clos. Les fidèles font des prières et un moine leur accorde audience. Autour du monastère, je profite du jardin ombragée pour prendre l’air frai et méditer un peu en contemplant le lac.
En effet, comme un miroir des montagnes et un miroir du ciel, un lac appel souvent à la contemplation ou à la réflexion, il inspire souvent les peintres ou les poètes. Il y a la poésie des reflets et la poésie des eaux profondes. « Les lacs sont les miroirs de la nature, ces belles nappes bleues, où se dessine l’image renversée du ciel et du rivage (…) ont toujours impressionné le penseur ! Là s’ouvre à ses plus magnifiques pages ce grand-livre dont parlent les philosophes. Là, on entend mieux que partout ailleurs cette musique mystérieuse que tout homme a en soi et qui est aussi dans la nature. Là, l’âme s’imprègne de calme, se nourrit de contemplatives méditations et de douces mélancolies » écrit Mailland.
Ce voyage a eu lieu en février 2018.

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