La marche… de Kalaw au lac Inle. La Birmanie (5)

L'épopée du bus

Après Bagan, je voulais me rendre dans un autre site incontournable de la Birmanie, c’est le lac Inle. Il était possible d’y aller en train, mais le trajet dure deux jours et mon temps en Birmanie était malheureusement limité. Je me suis donc rabattue sur le bus et ses vicissitudes.
Par la fenêtre du bus, je regarde les paysages et les moments de vie. Très souvent, il y a des constructions de routes ou des rénovations du revêtement. Et en Birmanie, presque tout est fait à la main. Il y a des ouvriers, en longyi, la tenue traditionnelle, protégés du soleil par de grands chapeaux, qui cassent des gros cailloux en moyen cailloux, d’autres qui cassent des moyens cailloux en petits cailloux. Des ouvriers, souvent des femmes, souvent jolies, transportent ces gravillons dans des paniers en osier et les déversent sur la route. Non loin de là, le goudron est chauffé, au feu de bois, dans des grands bidons métalliques noirs. Puis un ouvrier déverse le liquide noir, à l’aide d’un arrosoir, sur la surface de la route.
Le bus ralenti pour longer les travaux, comme pour nous laisser contempler ces forçats de la route, puis accélère de nouveau. Je partage cet espace confiné mais mobile avec d’autres voyageurs, entre le ronronnement du moteur, les grignotements et les déglutitions permettant le nourrissage des estomacs des voyageurs, ou à l’inverse, les estomacs qui dégurgitent, ceux-là qui se sentent mal dans les virages et vomissent par la fenêtre, ou bien il y a les crachats, une autre forme d’expulsion. Pour faire passer le tout, il y a des pauses, la pause pipi, la pause casse-croûte et la pause arrosage des pneus et des plaquettes de freins. Mais le dénouement est des plus heureux, tout le monde arrive à destination quand le bus finit par dégurgiter lui-même toute sa tripoté de passagers.
Je suis à Kalaw où j’ai passé une nuit avant d’aller faire une randonnée pour me rendre jusqu’au lac Inle. J’avais lu qu’il était plus ou moins obligatoire de prendre un guide pour effectuer ce parcours, je me suis donc rendue, au hasard, dans une des agences de Kalaw pour organiser tout ça.

La randonnée champêtre

Le lendemain matin je retrouve donc mon guide de bonne heure et de bonne humeur, ainsi qu’une jeune allemande et un couple de français avec qui je partagerai cette excursion.
L’avantage d’avoir un guide, c’est que nous pouvons poser pas mal de questions, mêmes les gênantes (avec l’exemple des Rohingya) et nous pouvons avoir pas mal d’informations sur les us et coutumes, le mode de vie des habitants de la région.
Notre guide, Api, est originaire de Bagan, il travaillait dans une maison de thé, mais depuis trois ans il est guide dans la région de Kalaw ce qui lui donne maintenant une bonne maîtrise de l’anglais. Il est papa d’un petit garçon, il n’est encore jamais sorti de la Birmanie, mais à force de voir tous ces voyageurs il est curieux d’aller voir ailleurs comment c’est. En faisant des économies, il souhaiterait commencer par la Thailande et le Laos voisin.
Nous débutons la randonnée d’un petit village non loin de la route, les maisons sont en dur. Il y a une petite fille qui est juchée sur un bœuf et c’est un peu rigolo. Elle est habillée d’un longyi vert et je pense qu’elle doit aller à l’école. Puis nous partons sur un chemin de terre et nous nous enfonçons plus dans la campagne.
Paysage le long du sentier
Nous traversons des paysages vallonnés dans une région vraiment agricole. A cette époque de l’année, le mois de février, les champs sont encore secs et peu animés mais je peux reconnaître des restes de plants de maïs et du piment de la saison précédente. Il y a également du maraîchage, bien sûr des rizières mais sans riz, et notre guide nous montre aussi les champs de gingembre, dont le rhizome est utilisé en cuisine. Il nous explique que c’est une plante qui pousse très facilement, l’essentielle de la production est exportée en Chine et d’après lui c’est un bon investissement.
Nous faisons une pause déjeuner dans un village, il y a des communautés Pa-Oh, Taung Yoe et Dha-Nu. Les dames ont un foulard enroulé autour de la tête. Une mamie s’affaire avec un métier à tisser. Elle fabrique un de ces sacs typiques, utilisés tant par les hommes que les femmes mais aussi par les enfants en guise de cartables. Il s’agit d’une grande poche carrée, avec une lanière pour l’épaule, et des pompons décoratifs de chaque côté. Les touristes peuvent aussi en acheter, moi j’en ai pris un pour mon amie en Chine.
Deux enfants jouent avec un vélo bien trop grand pour eux, mais le plus âgé parvient à se hisser sur la selle, tandis que le plus petit retient le vélo, il fait l’équilibre et sert de petites roulettes en quelque sorte. Il pousse, le vélo s’élance, le grand tente de pédaler et le petit court derrière en continuant de pousser jusqu’à la descente où tout le monde chute. Mais ce n’est pas grave, tout ce petit monde se relève, remet le vélo d’aplomb et part de plus belle.
Puis nous repartons dans la cambrousse. De-ci de-là quelques fermiers aux chapeaux pointus s’affèrent dans les champs. Parfois un buffle promène son fermier et parfois, c’est l’inverse. C’est dans cette ambiance champêtre que nous continuons à marcher. Souvent, nous croisons un char à bœuf avec tout l’attelage qui transporte du bois ou d’autres produits. Ici, tout est fait à la main, ou à l’aide d’un animal, du labourage à la récolte. Toutefois, j’ai pu remarquer que les charrues, comme sorti d’un autre temps, ne sont pas incompatibles avec les smartphones.
Scène de vie dans un village et paysage agricole déséché.
La fine équipe en pause casse-crôute
Nous traversons encore d’autres beaux paysages, des champs desséchés et une terre de couleur ocre, constellés d’arbres au feuillage vert qu’un peintre aurait disséminé au hasard. Puis nous longeons un chemin qui fusionne avec les rails du chemin de fer. Le guide n’est pas inquiet, un seul train par jour fréquente le trajet, et à cette heure là il est déjà passé.

Un village birman

Nous arrivons en fin d’après-midi au village où nous devons dormir. Il s’agit du village Pattu-Pauk, habité par le groupe ethnique Pa-Oh. Il y a un petit temple-monastère en bois autour duquel plusieurs enfants sont en train de s’amuser. L’école est finie. Le village est constitué de nombreuses maisons en bois et en bambous avec un toit de taules ondulés ou de pailles, mais aussi quelques maisons en briques. Nous rencontrons la famille chez laquelle nous serons hébergés pour la nuit.
Le logement est sommaire, mais il sera confortable. Le rez-de-chaussée de la maison est en terre battue, et permet d’entreposer le matériel agricole et les provisions, mais c’est à l’étage que nous dormons. Une pièce est réservée pour la famille qui nous accueille tandis que l’autre pièce dispose de quatre matelas disposés sur le sol pour les invités. Les toilettes sont dehors au fond du jardin et la douche, c’est également à l’extérieur, les plus courageux peuvent se doucher avec une bassine et l’eau du puits.
Nous profitons de la fin d’après-midi pour nous relaxer, discuter, observer la vie du village. Dans la maison voisine, une dame est en train de trier du piment séché et nous nous joignons pour l’aider dans sa tâche, les piments biens rouges dans un sac à part, et les piments tâchés dans un autre sac.
Puis le soir, une jeune fille nous enseigne comment se badigeonner les joues de thanakha, cette pate cosmétique végétale très populaire. Il s’agit de râper l’écorce d’un morceau de bois, avec un peu d’eau, sur une pierre plate et circulaire. Les birmanes se trouvent ainsi plus jolie, le produit leur donnerait une belle peau et les protégerait du soleil, mais c’est aussi un fort symbole identitaire.
Avec l’arrivée de la nuit, les températures fraîchissent vraiment, je dois enfiler une veste et après le dîner, nous sommes conviés atour d’un feu, dans un petit cabanon qui sert de cuisine et de pièce de convivialité, avec la famille. Il y a ici les parents, les enfants et même petit-enfant qui se chauffe au coin du feu tout en discutant. Il y a aussi un voisin ou un cousin qui se joint à nous. C’est un peu « rendez-vous en terre inconnue » pour nous, mais en même temps, pas tout à fait, car la famille est habitué à héberger régulièrement des étrangers. C’est un peu comme si le village était plongé dans une autre époque, loin des préoccupations du monde moderne et mondialisé, avec un mode de vie tout à fait différent du notre, et pourtant, le village voit passer quotidiennement des voyageurs du monde entier et en ce sens, il fait pleinement partie du monde mondialisé. Ce village est un peu le lieu de la rencontre des peuples.
L’électricité est limitée à un faible éclairage d’une petite ampoule, ici, il n’y a pas de télévision, pas d’ordinateur, pas d’internet. Seulement une des filles de la famille était capable de parler anglais, elle nous dit qu’elle a douze ans mais paraît bien plus âgée. Elle nous raconte un peu son quotidien, entre l’école et les travaux au champ. Son frère est dans une école de moines à Mandalay.
Le village dispose bien d’une télévision, elle est à l’école et doit faire office de cinéma. La jeune fille à un téléphone, elle nous montre des vidéos des clips des chansons qu’elle aime bien, et qu’elle a sauvegardé, des jeunes birmans qui chantent des chansons d’amour qui doivent être un peu fleur bleue, le côté sentimental et naïf de la chanson populaire.
Sans pollution lumineuse et atmosphérique, le soir nous avons l’occasion de contempler les étoiles, puis nous nous camouflons sous nos duvets pour échapper à la froideur de la nuit.
Avant le lever du Soleil, un coq se met à chanter, tandis qu’un autre lui répond un peu plus loin, puis la famille se lève aux premières lueurs du jour, il est temps pour nous de sortir du lit et d’aller prendre le petit déjeuner. Notre guide nous sert comme des rois, et nous pouvons aussi nous amuser aves le petit garçon qui mange son riz en faisant des grimaces. Les habitants sortent les vaches des granges pour les mettre au soleil, ils en prennent soin, pendant la nuit par exemple, elles ont une couverture sur le dos.
Notre guide nous informe qu’ici les gens n’ont pas de compte en banque, mais c’est la vache et le buffle qui servent d’économies ou d’investissements.
Nous faisons quelques photos avec la famille et nous repartons donc après le petit-déjeuner, il nous reste une journée de marche pour atteindre le lac Inle. Nous poursuivons notre chemin entre les champs, nous croisons quelques chars à bœufs, des cultures en terrasse, puis nous arrivons à une espèce de rampe de vaisseau spatiale, construite en bambou. Notre guide nous indique avec humour qu’il s’agit bien de lancer des fusées, mais c’est à l’occasion d’un festival, au printemps, qu’un pétard géant est lancé de cette plateforme vers le ciel afin d’effrayer les mauvais esprits et de garantir ainsi de bonnes récoltes pour l’année.
Nous marchons encore, au bord du chemin, un arbre géant, le figuier des banians, étend ses branches et ses racines aériennes tout autour de nous. Puis le paysage change, une petite montagne est devant nous et il y a un col à traverser. Nous débutons l’ascension, le chemin serpente maintenant à travers une forêt.
Puis nous entamons la descente à travers une forêt d’arbres nains, un chemin de terre rouge jusqu’à une route en gravillon qui conduira à un village, au bord du Lac Inle, habité par la minorité Intha. C’est la dernière collation, constituée de fruits découpés joliment présentés. Juste à côté, il y a une fabrique de panier en bambou à la fois pratique, esthétique et écologique.
Une bande de jeunes jouent au chinlon, c’est un peu comme du volley ball, avec un filet de badminton, une balle en osier, mais au lieu de jouer avec les mains, c’est avec les pieds qu’on lance la balle de l’autre côté du filet.
Après avoir exploré les lieux, la dernière étape de l’excursion est la traversé du lac Inle en pirogue. Nous remontons d’abord pendant un moment un canal avant de déboucher dans le lac proprement dit.
Et cela, je vous le raconterai lors du prochain article.
Ce voyage a eu lieu en février 2018.

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