La longue marche

A côté des marches solitaires ou en groupe, contemplatives et rêveuses, il y a les marches politiques ou les marches de protestation avec par exemple Gandhi et sa marche du sel, Martin Luther King et la marche des droits civiques et bien sûr la Longue Marche de Mao, poil au dos (长征 Chángzhēng en mandarin).
Alors aujourd’hui, je ne vais pas y aller par quatre chemins, et je vais vous raconter, sans détour, cette période de l’histoire chinoise.
La Chine du début des années 1930 est déchirée par des luttes entre les seigneurs de la guerre, menacée par l’invasion japonaise et tiraillée entre les forces du parti nationaliste de Tchang kaï-chek, le Guomindang, et celles du Parti communiste de Mao Zedong. D’abord allié, le Guomindang et le Parti communiste s’affrontent à partir de 1927, la rupture étant consommée avec le coup de Shanghai. Mao transfère le combat révolutionnaire des villes aux campagnes, il tente de mobiliser les paysans pauvres du Jiangxi, cela pour des raisons stratégiques. En 1931, il fonde une République soviétique chinoise dans le Jiangxi (dans la ville de Ruijin), souvenez-vous, je vous en ai déjà parlé. Mais le Guomindang devient de plus en plus puissant, et la République tombe en 1934.
C’est à ce moment là que Mao entame sa Longue Marche avec 90 000 hommes, en plusieurs groupes. Le mythe de la Longue marche est en fait une fuite pour chercher une nouvelle base territoriale et préserver l’instrument de la conquête du pouvoir : l’armée et les chefs politiques et militaires. Depuis le Jiangxi, les marcheurs se sont d’abord dirigé vers l’ouest jusqu’au Yunnan, puis ils sont remontés au nord par les montagnes du Sichuan, le Gansu, jusqu’à atteindre plus tard le Shaanxi, avec toujours le Guomindang à leur trousse. La marche s’achève environ un an plus tard, la moitié des marcheurs sont morts, les survivants ont parcouru 12 000 km, seuls 8 000 personnes arriveront jusqu’au Shaanxi. Mais les vétérans de la Marche formèrent l’aristocratie de la révolution, et c’est aussi la Marche qui contribua à la naissance du chef suprême Mao.
Entre 1937 et 1945, communistes et nationalistes marchent ensemble à nouveau, ils redeviennent ami afin de lutter contre l’envahisseur Japonais, mais là c’est une autre histoire.
A partir de 1946, la guerre civile qui reprend entre les deux camps se solde par la victoire des communistes menés par Mao, et les nationalistes rebroussent chemin et s’enfuient à Taiwan.
La République populaire de Chine est fondée le 1er octobre 1949 et c’est ce jour qui est fêté, toujours aujourd’hui, chaque année lors de la fête nationale. Mao commence à mettre en place, à marche forcé, un régime totalitaire. Avec Mao, il y avait intérêt à rester sur le droit chemin, à ne pas sortir des clous. Surtout quand il était de mauvais poil. Mao, je devrais dire monsieur Poil. Sans rire, le caractère 毛 de son nom se traduit par poil !
A la croisée des chemins, au mois d’octobre, j’étais donc dans le Jiangxi, et je suis resté deux journées à Nanchang 南昌, la capitale.
Le 1er aout 1927, le soulèvement de Nanchang fut l'un des premiers épisodes de la guerre civile entre les communistes et le guomintang. Cette date est toujours fêtée aujourd’hui par l’armée en Chine, c’est le jour des marches militaires. A Nanchang, il y a aussi un musée, un mémorial aux martyrs de la révolution, bref, des traces, telles des empreintes de pas, de cette période de l’histoire de la Chine qui sont aujourd’hui utilisées à des fins de propagande.
Place Bayi à Nanchang
Un couple se fait tirer le portrait sur la place Bayi
J’ai déambulé dans les rues Nanchang. J’ai marché sur la place Bayi 八一广场 (je traduis : la place 8-1) qui est gigantesque, elle a été construite à partir du 1er aout 1977, 50 ans après le début de l’insurrection. C’est une place en béton, rectangulaire, dans le style stalinien, comme la place de la Liberté à Brest, mais en beaucoup plus grand. Sur la place, ils ont plantés des genres de palmiers, à l’ombre desquels certains font du tai-chi-chuan, tandis qu’à côté, certains s’amusent avec des cerfs-volants. D’autres encore déambulent, il y en a même un qui marche à reculons.
Place Bayi à Nanchang
La place Bayi, poil au zizi
Au milieu de la place, étonnamment, il n’y a pas de statue de Mao guidant le peuple, mais c’est un monument, en béton gris avec une plaque blanche sur le dessus sur laquelle est écrit des caractères chinois dorés. Comment décrire ce monument, c’est phallique, est-ce une fusée ou un obélisque ? Un sapin de Noël ? Sans être mauvaise langue, moi ça me fait un peu penser à la tour du Juche en Corée du Nord.
Autour de la place, des bâtiments en béton sont également dans le style stalinien, un peu comme l’hôtel de ville à Brest, mais avec sur le dessus, une grosse étoile rouge comme plantée au milieu du front. Poil au menton. La nuit, la place et les bâtiments sont tout illuminés de rouge, le drapeau chinois défile sur les gratte-ciels, et il y a aussi des jets de lumière qui pointent vers le ciel. Cela donne une ambiance un peu discothèque à l’ensemble.
Toutefois, je ne vais pas m’arrêter en si bon chemin, je continue de marcher, sans itinéraire. Est-ce cela « trouver sa voie » ?
Skyline du quartier moderne de Nanchang au bord du fleuve
Je n’ai trouvé aucun charme à Nanchang, c’est gris, ça manque d’espace vert, il y a une circulation terrible, des zones en travaux, le métro est actuellement en construction. De plus la ville était enrobée d’une brume que je ne sais qualifier de pollution ou d’humidité, sans doute un peu des deux. Le fleuve Fu se jette dans le fleuve Gan qui sépare la ville en deux. De l’autre côté de la rive, pour faire moderne, les nouveaux buildings sont illuminés la nuit, le light show, des jeux de couleurs qui se meuvent sur les façades, c’est la marche du progrès. Mais ça ne vaut pas la vue du Bund à Shanghai.
Je continue de tailler ma route au milieu de la ville, mais parfois, je me perds et dois rebrousser chemin. Est-ce que rebrousser chemin c’est un peu comme remonter dans le temps ? Il n’y a pas d’aller et retour dans la marche de l’histoire. Mais il reste des traces.
Une rue de Nanchang
La seule empreinte un peu historique que l’on trouve à Nanchang, c’est le Pavillon du Prince Teng 滕王阁. Quand je dis un peu historique, je ne veux pas dire ancien, car le pavillon que l’on visite actuellement a été construit en 1985. Le premier pavillon a été construit en 653, mais le bâtiment a été reconstruit plusieurs fois par siècle depuis cette date, soit par qu’il s’était effondré, ou bien il avait brûlé, ou encore il avait été détruit au cours d’une révolte. A l’intérieur du pavillon, des peintures murales représentent des célébrités de l’histoire chinoise au cours de ses différentes dynasties. Du sommet du bâtiment, je peux profiter du point de vue sur la ville et le fleuve Gan. A l’extérieur, entourant le pavillon, il y a un jardin plutôt tranquille dans lequel j’ai fait un bout de chemin, à l’abri de la circulation externe.
Pavillon du Prince Teng, les déco intérieures et son jardin
Le soir, j’ai eu quelques difficultés à trouver un hôtel où dormir, bien qu’il y ait une tripoté d’hôtels autour de la gare. Soit les employés ne savent pas comment s’y prendre avec un étranger, soit il y a de la place, mais après quelques minutes de tergiversations, il n’y a finalement plus de place. Bref, ça ne marche pas.
En fait, la plupart des hôtels n’acceptent pas les étrangers. Et comme je n’ai pas de carte d’identité chinoise… Toutefois, après plusieurs démarches, une employée d’un hôtel m’a dit ok, et je dois la suivre.
Nous montons au douzième étage par l’intermédiaire d’un ascenseur, puis nous traversons un dédale de couloir, pour arriver à une cage d’escalier, nous descendons sept étages à pied et nous débouchons sur une autre série de couloirs, il y a des hommes qui fument et des lits, la dame me montre qu’il y en a un pour moi et que ce n’est vraiment pas cher. Me voilà avec une partie des migrants illégaux de la ville ! J’imagine une usine de confection de cadeaux de noël pour les petits européens dans les sous-sols, mais finalement je passe mon chemin et je trouverai un autre hôtel qui m’accepte un peu plus loin. Les murs sont décrépis et la moquette miteuse serait à changer, mais j’y passerai néanmoins une nuit reposante.
A bientôt, sur d’autres chemins de traverse.
Réservoir d'essence d'une voiture
Pour les curieux qui veulent en savoir plus sur l'histoire de la Chine : les livres et les liens :

Commentaires

Le voyageur hypothetique a dit…
The long and winding road that leads to your door,

Will never disappear, I've seen that road before.

It always leads me here.



Mais nous on te perdra jamais.
Joyeux Noël, Julien. (de la part de nous deux),

Anonyme a dit…
Ici, c'est encore le 25 décembre, alors JOYEUX NOEL à toi JULIEN et gros bisous des montpelliérains, Jacques & Elena