Le jour où j’ai voté en Chine!

La Rue de Nankin (Nánjīng lù) à Shanghai, un dimanche après-midi
« La dictature, c'est "ferme ta gueule" et la démocratie c'est "cause toujours" » a dit Woody Allen. Toutefois, dimanche dernier, je me suis rendu au consulat de Shanghai afin de voter pour celui qui, pour moi, souhaitait défendre le bien commun et répondre à l’urgence écologique.
Il y avait du monde, je veux dire par là que c’est quand même surprenant de voir tant de français réuni au même endroit en Chine. Toutefois, il n’était pas nécessaire d’attendre longtemps pour aller voter, les démarches étaient fluides, bien loin des trois heures de queue à Montréal !
Un policier chinois présent à l’entrée du building montrait la direction à suivre, un autre, dans l’ascenseur, était là pour appuyer sur le bouton du 18e étage, là où se trouve le consulat. Parmi le personnel du consulat, je reconnais une personne, car c’est aussi ici que se trouve le service pour la science et la technologie en Chine. Mais pas trop le temps de discuter, je dois poursuivre mon chemin pour atteindre l'urne électorale. Ma quête de la journée ! Puis je montre mon passeport, on vérifie que je suis bien inscrit sur les listes, je choisi cinq ou six bulletins parmi les onze tas proposés et disposés sur la table, puis je vais me cacher dans l’isoloir pour mettre dans l’enveloppe mon candidat favoris.
Ensuite, je suis redescendu dans la rue, devant le bâtiment qui héberge le consulat. Je suis resté un moment dans les parages pour observer un peu ce qui se passait, scruter des petits groupes qui se formaient pour discuter, ou ceux qui venaient en famille. J’ai aussi été surpris de voir plusieurs couples arriver à bord d’une voiture luxueuse, noire, avec chauffeur, descendre juste devant la porte de l’immeuble, aller voter pendant que le chauffeur attendait, puis embarquer de nouveau dans la voiture, telles des stars de cinéma. Je suis certain que nous n’avons pas voté pour le même candidat ! Puis je suis rentré en métro, avec le prolétariat.
Le régime chinois
Mais au fait, comment ça se passe la politique en Chine ?
En fait je n’ose pas trop parler de politique par ici, je ne sais pas si c’est tabou, ou plutôt, je ne veux pas mettre mal à l’aise mes amis chinois. Mais au détour d’une discussion, je peux demander ce qu’ils en pensent. J’ai demandé à quelques amis s’ils savaient qu’il y a des élections en France en ce moment, et j’ai été surpris de constater qu’ils ne savaient pas. A part une amie de Shanghai qui a habité 4 ans à Toulouse dans le passé, les autres n’étaient pas au courant. Bien sûr, ils savent que la France est une démocratie, mais pas qu’il y avait des élections à venir (en fait j’ai demandé quelques jours avant l’élection). Au fond, j’étais presque vexé, dans le sens que cela peut laisser supposer la faible importance de la France sur le plan international. Et puis je me suis dit, qu’il est aussi probable que la plupart des français ne connaissent pas le nom du président chinois actuel.
Comment définir le régime politique chinois actuel ?
A base de riz, de sauce soja et de cuisine diététique. Pardon, je ne parle pas du régime minceur, mais plutôt du régime politique. En Chine, le président n’est pas élue au suffrage universel mais il est désigné par ses pairs du Parti Communiste Chinois, cela tous les cinq ans. Ainsi, la Chine n’est pas une démocratie, mais son président change plus souvent que celui de la Russie par exemple. Aussi, en Chine, il n’y a pas de multipartisme.
La priorité est la stabilité du régime et le soutien à la croissance économique du pays. Ainsi il serait très difficile de placer le régime chinois sur l’échiquier politique français. Un mélange de Macron, Fillon et Mélenchon ? Ne mélenchon pas tout. C’est à la fois une économie de type capitaliste mais avec un état fort. Une forme de néo-capitalisme libérale mais avec un contrôle, une intervention forte de l’État dans l’économie, couplé à une forme de protectionnisme.
Pour certains auteurs, le développement économique de la Chine mènera nécessairement à une démocratisation du régime, vers une forme de social-démocratie. Toutefois, s’il est vrai que le Parti communiste s’est retiré de la vie privée des citoyens, et malgré l’évolution très rapide du système économique et social, le régime conserve certaines des institutions du passé, une forme de propagande, la censure des journaux et de l’Internet, un certificat de résidence permettant de contrôler le mouvements des citoyens. En dehors de ceux encadrés par le Parti, les associations ou les syndicats autonomes sont interdits. Et bien sûr, il n’y a pas vraiment de limite légale à l’intervention de l’État.
Le président Xi Jinping, dans un village du Jiangxi
Je veux maintenant faire quelques rappels historiques avant de poursuivre mon propos. Lé régime établi par Mao à partir de 1949 était une variante de celui qui existait dans l’URSS de l’époque, une forme de totalitarisme. En 1959, Mao lance le Grand Bond en avant en disant « La Chine est au bord du gouffre. Faisons un grand bond en avant ! », celui-ci aboutira à une des plus grandes famines du siècle.
En 1966, afin de lutter contre des protestations à l’intérieur même du parti, et pour reprendre le leadership, il lance la « révolution culturelle », menée par les Gardes rouges. Mais cette guerre idéologique se transforme en folie collective ! Des chinois sont torturés, les intellectuels envoyés en camps de rééducation à la campagne, les écoles sont fermées. Ces années terribles entraînent un divorce du peuple chinois avec le communisme.
A la mort de Mao, à partir de la fin des années 1970, c’est Deng Xiaoping qui a commencé de réformer l’économie, moderniser le pays et ouvrir la Chine au monde. Il lance les quatre modernisations : agriculture, industrie, science et technologie, défense nationale. En 1979, avec le printemps de Pékin, les chinois sont autorisés à critiquer le régime, c’est une réelle période de discussion politique : le « mur de la démocratie » se couvre d’affiches (les dazibao) de slogans, idées, propositions. Mais le peuple demande vite la cinquième modernisation : la démocratie. Malheureusement, ils seront réprimés. En 1985, une crise économique entraîne une augmentation du chômage, la corruption grandit, et il y a des révoltes étudiantes dès 1986.
En 1987, Deng Xiaoping oblige le réformateur Hu Yaobang à démissionner pour s’être montré trop tolérant face aux révoltes étudiantes de 1986. Hu Yaobang meurt en 1989, il était admiré par la population et des manifestations spontanées ont lieu en hommage au personnage. Des étudiants saisissent l’occasion pour se regrouper sur la place Tian’anmen à Pékin, mais le mouvement populaire s’étend aussi à d’autres villes. Les manifestants dénoncent la corruption et les inégalités. A ce moment là, il y a vraiment eu des dissensions internes au sein du Parti communiste, entre partisans de la répression ou de négociations. Mais il semble que le côté conservateur ait pris le dessus, le mouvement sera réprimé.
Machine à faire du popcorn, après un gros "bang"
Pour tenter de faire oublier la répression de Tian’anmen et conserver le pouvoir, le Parti a mit en place un espèce de pacte : mettre en place les conditions pour que le peuple puisse s’enrichir, développer l’économie, la prospérité, améliorer les conditions de vie, le tout dans une « société harmonieuse ». Toutefois, des chinois me disent que la prospérité actuelle de la Chine n’est pas dû au gouvernement actuel, mais grâce au travail des chinois.
Mais la démocratie est-elle possible en Chine ?
Une partie de la population attend la démocratisation du régime, le fait de choisir les dirigeants, une justice indépendante, tandis que d’autres préfèrent la stabilité du régime actuel. La Chine est en effet un pays en paix, et finalement plus sécuritaire que les pays européens sur certains points. L’échec des révolutions arabes peut aussi soulever la question de l’universalisme de la démocratie.
Par ailleurs, l’influence du confucianisme en Chine, les idées d’harmonie et le respect de la hiérarchie, peut entrer en contradiction avec la démocratie. En effet, dans la démocratie, il y a l’idée de tension, elle peut être source de division, de l’extrême gauche à l’extrême droite, on n’est pas d’accord. Un régime démocratique à également l’inconvénient d’être lent dans la prise de décision. Il faut débattre, faire des compromis.
Les dérives de la démocratie peuvent aussi être pointées du doigt (montée en puissance de l’extrême droite, « trumpisation » et « faits alternatifs »). Ainsi, il me semble que de nombreux chinois préfèrent que les décisions soient prises par « ceux qui savent » plutôt que de laisser des citoyens s’exprimer ou choisir un candidat stupide. Le peuple peut être manipulé, bref, il faut laisser gouverner une élite éclairée.
Un autre argument que j’ai entendu est que pour certains chinois, la démocratie serait impossible à mettre en place en Chine car les chinois sont trop nombreux. Le contre exemple est bien sûr l’Inde, pays voisin et plus grande démocratie au monde.
Rue de Nankin, un dimanche après-midi
Néanmoins, il y a de nombreux avantages à la démocratie, il y a des débats et des contre-pouvoirs pour éviter que des mauvaises décisions soient prises. Par exemple s’il y avait eu une opposition suggérant à Mao que la révolution culturelle faisait fausse route, peut être que la Chine ne serait pas allé droit dans le mur (et augmenter la misère de cette époque). De plus, dans la démocratie, on doit choisir. Par exemple, on connaît l’historique des candidats à la présidence de la République, on sait ce qu’ils proposent pour l’avenir, on peut se renseigner si les programmes des candidats sont réalisables ou s’ils ne sont que des propositions démagogiques. Leurs choix, donc notre choix, peut influencer le destin du pays, mais aussi, de part les relations internationales, le monde entier. Bref, la démocratie est une forme de régime qui nous rend responsable.
Une rue en travaux à Shanghai
Les chinois n’ont jamais été aussi libres dans leur histoire qu’aujourd’hui. Ces vingt dernières années, le sentiment de liberté individuelle a augmenté, les chinois peuvent se déplacer à l’intérieur du pays, la surveillance mutuelle s’est relâchée, ainsi que celle de l’État. Le désir de stabilité est ainsi pour eux une forme de protection contre le retour des idéologies et des extrémismes du passé. Aussi, tant que la croissance se poursuit et que l’espoir dans l’amélioration des conditions de vie persistent, il est peu probable que les chinois demandent un régime plus démocratique. Toutefois, une augmentation des inégalités et la prise de conscience des effets de la pollution pourraient bien entraîner des formes de contestations dans l’avenir.
J'ai illustré cet article avec des scènes de la vie quotidienne, prises à Shanghai.

Voici quelques sources sur le sujet :
Michel Bonnin  Comment définir le régime politique chinois aujourd’hui – Université de tous les savoirs.
Jean-Louis Rocca  En Chine, la démocratie… quand le peuple sera mûr – Le Monde diplomatique, 2017. 
Yasheng Huang  Chine. Démocratie : tôt ou tard elle y viendra – Courrier International, 2013.
Jean-François Di Meglio - Pourquoi la Chine pourrait ne jamais atteindre la case démocratie – Atlantico, 2015.
Quartier moderne, les tours de Pudong à Shanghai

Commentaires

Et aujourd'hui, le jour où tu vas revoter en Chine ?