Il faut se méfier d'un plus petit que soi

Paris, quelques jours avant la crue historique
J’ai fais le voyage entre Shanghai et Paris, pendant que je survolais la Russie, à 1000 km à l’heure, j'ai eu quelques réflexions.
Le mouvement de rotation de la Terre, qui scande la succession des jours et des nuits, se déroule à une vitesse de 1500 km par heure, et la course de notre planète autour du Soleil, qui scande les saisons, se déroule à une vitesse de 100 000 km à l’heure. Le soleil, ainsi que tout son système de planète, tourne autour du trou noir du centre de la Galaxie à une vitesse de 850 000 km à l’heure. Et notre Galaxie s’éloigne des autres galaxies, dans un univers en expansion. Notre Terre voyage, autour d’un Soleil qui voyage, dans une galaxie qui voyage…
Sur cette planète, depuis 4 milliard d’années, le vivant est lui aussi en voyage, d’abord dans les océans, puis sur les terres émergés, puis dans les airs. Les forêts voyagent, les forêts migrent, les graines se déplacent, à mesure des changements de climat. Dans les océans, sur Terre, dans les airs, les animaux voyagent, il y a des migrations, telle celle des oiseaux. C’est dans cet univers et ce vivant en voyage que nos ancêtres hominines ont quitté l’Afrique, il y a environ 2 millions d’années et se mettent à arpenter la Terre. Il y a eu plusieurs sorties d’Afrique, et c’est seulement il y a 100 000 ans, que l’Homme moderne quitte l’Afrique et va alors réellement envahir toute la planète. Nos ancêtres vont finir par gagner tous les continents. Sur leur chemin, ils rencontrent des membres d’autres espèces humaines, qui disparaissent toutes, tout comme un grand nombre d’autres espèces animales.
Mais l’Homme est l’hôte de bactéries, qui elles-mêmes voyagent et évoluent. Certaines de ces bactéries sont bénéfiques, tandis que d’autres sont pathogènes. Ainsi il y a une coévolution entre, d’une part, le système immunitaire humain, qui cherche à éliminer les bactéries néfastes, et d’autre part, ces bactéries qui doivent résister au système immunitaire afin de ne pas être éliminées. C’est une course aux armements.
Institut Pasteur de Paris et buste de Louis Pasteur
Depuis un peu plus d’un an, je travaille maintenant sur la bactérie Mycobacterium tuberculosis, qui est responsable de la tuberculose. Cette maladie est connue depuis l’Antiquité, décrite par les médecins Grecs, tel Hippocrate, qui nommaient la maladie phtisie. Des séquelles de cette maladie, et de l’ADN de la bactérie, ont été identifiées sur des momies égyptiennes et des momies andines. L’année dernière, des études ont montré que la tuberculose existait déjà au Néolithique, avant la domestication des animaux au Proche-Orient. Par ailleurs, des études de génétique moléculaire ont permis de mieux comprendre l’évolution de M. canetii et M. tuberculosis et donc de retracer l’histoire de la tuberculose. L’étude fait remonter l’ancêtre de M. tuberculosis à 3 millions d’années, en Afrique. Par l’intermédiaire des voyages de l’Homme, la pandémie est devenue mondiale.
Au Xe siècle, le scientifique Perse Avicenne décrit la tuberculose comme uniquement contagieuse. Au XVIIe siècle, la tuberculose était connue sous le nom de peste blanche en Europe. Associée à la révolution industrielle, la maladie fait des ravages au cours du XVIIIe et du XIXe siècle. A cette époque, il n’existait pas de traitement et la seule solution était d’aller se reposer dans des établissements spécialisés, au sanatorium, en gros, aller prendre l’air à la campagne.
De 1865 à 1868, le médecin Jean-Antoine Villemin reproduit chez les animaux (lapins, cobayes) les lésions de la tuberculose humaine, par inoculation de tissu altéré humain. Il imagine ainsi que c’est un microbe invisible qui est responsable de la maladie. En 1882 enfin, à la suite des travaux de Louis Pasteur, Robert Koch met en évidence le bacille tuberculeux à partir de lésions humaines.
La Chine, le Congo, la France pour lutter contre la tuberculose
En 1924, Albert Calmette et Camille Guérin mettent au point un vaccin, le BCG, à l’Institut Pasteur de Paris, avec une efficacité limitée. C’est lors de la seconde guerre mondiale, que l’on commence a utilisé les propriétés antimicrobiennes de certaines molécules. En 1940, l’américain Selman Waksman découvre l'action antituberculeuse de l'actinomycine. En 1943, Waksman découvre la streptomycine qui permet, un an plus tard, la première guérison par antibiotique d'un malade gravement atteint de tuberculose. D’autres médicaments spécifiques seront découverts dans les 20 années qui suivent (c’est l’âge d’or des antibiotiques) : l’isoniazide, l'acide para-aminosalicylique, le pyrazinamide, l’éthambutol et la rifampicine. Ces molécules sont toujours utilisées dans les traitements actuels. Mais dans un monde en perpétuel mouvement, un monde où tout bouge, les bactéries évoluent, elles s’adaptent. C’est ainsi qu’au cours du temps, émergent des bactéries résistantes aux antibiotiques. Et malheureusement, au cours des 40 dernières années, peu de nouveaux antibiotiques réellement efficaces ont été découverts. Ainsi, si rien n’est fait, le monde risque de sombrer dans une ère post-antibiotiques qui serait une catastrophe de santé publique. Je parle ici de la tuberculose, mais également de toutes les autres maladies infectieuses.
Mais c’est également l’amélioration des conditions de vie de la population qui a permis de faire régresser la tuberculose car cette maladie est fortement liée à la pauvreté et à la promiscuité qui en découle souvent. Cependant, encore aujourd’hui, un tiers de la population mondiale serait porteur du bacille, même si heureusement, la plupart ne déclare pas la maladie. Toutefois, selon l’OMS, en 2014, au niveau mondiale, 9,6 millions de personnes sont tombées malades de la tuberculose, et 1,5 millions en sont mortes.
Pour lutter contre la tuberculose, il faut améliorer le diagnostic et la prévention, améliorer les politiques de santé publique, confectionner un vaccin plus efficace et identifier de nouvelles molécules aux propriétés antimycobactériennes. Mais dans tous les cas, il faut faire plus de science. C’est pourquoi, nous nous sommes réunis à l’Institut Pasteur de Paris, afin d’en apprendre un peu plus, partager des expériences, faire des expériences. Les participants avaient un doctorat en médecine pour certains, un doctorat en science pour d’autres, avec donc des approches différentes, mais complémentaires dans la lutte contre ce pathogène. Nous venions de Chine, de France, de Côte d’Ivoire, du Brésil, du Gabon, du Mexique, du Congo, de la Suisse, de l’Argentine, du Laos, Madagascar, de la Zambie, du Bangladesh, de la Turquie, de l’Ethiopie, ou du Vénézuela. Un mélange de voyage et de découverte.
La photo de classe
Vous voulez en connaître un peu plus sur la tuberculose : voici une entrevue avec ma chef sur youtube !
Un peu d’optimisme toutefois. Parfois, ces microbes sont bien utiles. Je pense à tous ces petits micro-organismes qui, par leur métabolisme, maintiennent des conditions de vie habitables sur notre planète. Ils peuvent aussi exterminer des extra-terrestres venues nous envahir, comme dans la Guerre des mondes de H.G. Wells. Ils peuvent également nous servir de camouflage pour éviter de nous faire mordre par des zombies comme dans un film récent. Comme le dit Jean de la Fontaine, on a souvent besoin d'un plus petit que soi.

Voici les références scientifiques concernant cet article :
Comas et al., Out-of-Africa migration and Neolithic coexpansion of Mycobacterium tuberculosis with modern humans. Nature Genetics. 2013 Oct;45(10):1176-82.
Supply et al., Genome analysis of smooth tubercle bacilli provides insights into ancestry and pathoadaptation of Mycobacterium tuberculosis. Nat Genet. 2013 Feb;45(2):172-9.
Donoghue et al., Detection of Mycobacterium tuberculosis-specific- DNA and lipids in tissue from Irtyersenu from Thebes Dr. Granville´s mummy), 600 B.C. Proc Biol Sci, 2000.
Koul et al., The challenge of new drug discovery for tuberculosis. Nature 2011. 469: 483-490.
C’est Jean Claude Ameisen qui m’a inspiré le premier paragraphe introduisant cet article.
Bon voyage.

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