Je suis ton père

De temps en temps, j'aime bien allé visiter un temple taoiste. Ainsi, la photo qui introduit cet article n'est pas issue du dernier épisode de Star Wars, mais du temple Dongyue de Beijing.

« La voie que la voix ne peut dire n'est jamais la constante voie. Le nom que le nom ne peut nommer n'est jamais le constant nom. » Ce n’est pas une citation de Yoda mais de Lao Tseu, ici traduite par le sinologue Rémi Mathieu.

rituel dans un temple taoiste de Shanghai

Je suis un grand fan de Star Wars, mais malheureusement, à l’inverse de mes lecteurs, je vais devoir attendre un peu avant de pouvoir aller voir le dernier film au cinéma. En Chine, le prochain Star Wars sortira le 9 janvier 2016. Je peux m’avouer chanceux, car la première trilogie n’est jamais sortie en Chine. Il faut dire qu’à l’époque, la Chine sortait tout juste de la Révolution culturelle. Mais depuis quelques années, le cinéma est en pleine expansion en Chine. Cependant, le pays veut favoriser l’essor du cinéma chinois. Ainsi, entre quota et censure, un film étranger doit se battre pour pouvoir être projeté dans une salle obscure de l’Empire du Milieu. Même si, tout comme en France, Disney a probablement plus de chance de remporter ce privilège par rapport à un film de la Namibie.

Bon il y a tout de même eu un peu de publicité, avec ces 500 Stormtroopers qui envahissent la Grande muraille par exemple.

Depuis que je suis petit, je suis aussi un grand fan de mythologie, et je partage avec vous parfois quelques mythes ou contes des lieux que je vais visiter. Un imaginaire que j'aime bien. C'est garder la capacité à s'émerveiller. Star Wars, c’est un véritable mythe moderne. Tous les personnages sont inspirés des mythologies grecques et mésopotamiennes. C’est l’Iliade, c’est l’Odyssée, c’est le voyage initiatique de Luke, un homme ordinaire qui va devenir un héros, qui va s’entourer de compagnons (former un équipage). Il va rencontrer un maître (Yoda) qui va l’initier, puis, au fil de ses aventures, il va évoluer. Bref, c’est l’archétype du héros de Joseph Campbell (The Hero with a Thousand Faces), le mythe est une métaphore de l’expérience de la vie.

Peinture au Musée de Shanghai

Il y a aussi un peu d’Œdipe, tuer le père, symboliquement du moins, c'est devenir un homme. C’est aussi se réconcilier avec le père. Luke entre en effet en conflit avec son père, puis il va aider son père à revenir à la lumière. Dans Star Wars, il y a le thème de l’identité, les origines, les influences, les valeurs, les choix. Passer d’une identité à une autre, de l’enfance à l’âge adulte.
Anakin, qui deviendra Dark Vador, est probablement le personnage le plus intéressant. C’est peut être celui qui était le plus humain, celui qui avait le plus de rêve, il tombe du côté obscur par amour, pour Padmé et pour sa mère, par la colère entraîné par l’injustice.

Mais Star Wars, ce n’est pas qu’une histoire de famille. Entre autre, il y a les chevaliers Jedis, inspirés à la fois des chevaliers de la Table ronde et des Samouraïs. Parce que dans Star Wars se mêlent l’Orient et l’Occident. Ainsi, l’ordre Jedi est influencé à la fois par le bouddhisme, le taôisme et le confucianisme, ces trois courants philosophiques qui, en Chine, peuvent parfois se contredire ou se complémenter. C’est la méditation, c'est entraîner son esprit dans le cadre d’une transmission de maître à élève comme les bouddhistes, c’est la reconnaissance des forces et des éléments subtils qui composent l’univers des taôistes, c’est respecter les règles du monde tel que proposé par Confucius. Etre Jedi, c'est s'améliorer et aider les autres. Yoda définit la Force en tant qu’« énergie qui nous entoure et nous relie », c’est le tao, à la fois un principe et un mouvement animant et régulant l’univers.

offrandes qui brûlent dans le temple taoïste de Shanghai

D’après Rémi Mathieu, « Le tao, c’est l’énergie génératrice qui permet d’animer l’ensemble des êtres, et de façon harmonieuse. Un mouvement de yin, un mouvement de yang, c’est le tao. Le yin entre en contradiction et en complément avec le yang ». Pour la Force, il y a le côté obscur et le côté lumineux. En physique, il y a la matière et l’antimatière. Mais en fait, c’est plus complexe que la simple lutte entre le bien et le mal, dans Star Wars, il faut avant tout rétablir l’équilibre de la Force.

Ainsi, Star Wars est bien plus complexe que le simple manichéisme que certains veulent y voir. La Force est ambivalente. Selon Nietzsche, le bien et le mal sont les deux faces d’une même pièce ce sont des valeurs complémentaires plutôt qu’antagonistes. Yoda dit « le côté obscur n’est pas plus fort, mais plus rapide, plus facile, plus séduisant. Au fond plus glissant, suivre sa pente, c’est tomber mécaniquement du côté obscur ». Autrement dit, pour faire le mal, il n’y a rien à faire, il se fait tout seul ; alors qu’il faut faire le bien, c’est-à-dire le vouloir. « Nul n’est méchant volontairement » disait Socrate. Il y a Anakin qui chute du côté obscur en devenant Dark Vador, mais la République toute entière ne peut-elle pas tomber du côté obscur ?
Car Star Wars, c’est aussi de la politique ! Il y a des problèmes économiques, le premier film de la seconde trilogie commence ainsi. Il y a des troubles dans la Force, mais aussi dans la République. Star Wars, c’est l’histoire de la chute des démocraties. Palpatine veut exercer le pouvoir absolu, il parvient à prendre le pouvoir par la voie politique via un plébiscite ! Palpatine, c’est un mélange de Hitler et de Napoléon. C’est un politicien habile qui détruit les libertés au nom de la sécurité. Il joue sur les peurs. En l’absence de projet commun, chacun se replie sur soi. En période de marasme économique, la colère, la peur deviennent les passions dominantes et elles mènent finalement à la soumission. Ainsi, Palpatine se donne les pleins pouvoirs et crée l’Empire, une allusion au IIIe reich. C’est aussi la « servitude volontaire » de La Boétie. Padmé Amidala dit à ce moment « c’est ainsi que meurt la liberté sous des tonnerres d’applaudissement ».

assemblée de bouddha à Shanghai

« La peur est le chemin vers le côté obscur : la peur mène à la colère, la colère mène à la haine, la haine... mène à la souffrance » dit Yoda. La passion vient du grec pathos qui signifie souffrance. Il faut se méfier des passions disent les philosophes, et sur ce plan, Yoda, Bouddha et les stoïciens sont du même avis.

Le parcours de Luke ou de Anakin pose souvent la question du choix. Faire un choix c’est se risquer à « perdre ou à gagner » à « réussir » ou à échouer. Et parfois, c’est embarrassant de choisir. Et quel que soit notre choix, il y aura des conséquences. Nous sommes libres, maître de nos actes et de notre destin. C’est ça l’existentialisme, en résumé, enfin je crois. Chacune de nos actions engage notre responsabilité. Le choix à avoir avec l’engagement. Choisir peut influencer notre manière de vivre ensemble. Et on peut probablement émettre un jugement de valeurs sur ces choix. C’est l’éthique, qui est avant tout une démarche de questionnement. Et en éthique, rien n’est tout noir ou tout blanc, il faut nuancer les couleurs. "En politique le choix est rarement entre le bien et le mal, mais entre le pire et le moindre mal" disait Machiavel. Voter FN est-il moral ? se demandait récemment Axel Kahn sur son blog. Si ce choix est humainement compréhensible, il est contestable, et peut être que les électeurs du FN devraient analyser plus finement Star Wars, tout en lisant plus de philosophes, afin de ne pas tomber dans les mêmes erreurs historiques.

Chacun des points traités ici mériteraient d’être plus développés, et je n’ai même pas parlé de chewbacca! Si vous souhaitez approfondir le sujet, voici plusieurs sources où j’ai pioché des informations qui m’ont aidé dans la rédaction de cet article :

- Ici une video qui a pour thème Star Wars, histoire et mythologie (durée 25 min).
- Ici un documentaire Arte sur l'univers, les thèmes et les origines de Star Wars (durée 1h30).

- Une émission sur France Inter : le mythe Star Wars (durée 1 h).

- Ollivier Pourriol, Ainsi parlait Yoda. Philosophie intergalactique. Michel Lafon, 2015.

- Gilles Vervisch, Star Wars, la philo contre attaque - La saga décryptée. Edition Le Passeur, 2015.

- Laurent Aknin, Star Wars, une saga, un mythe, un univers. Vendemiaire, 2015.

- Une revue : Philosophie magazine, Star Wars, le mythe tu comprendras. 2015.

- Le Monde. Un résumé des épisode 1 à 6 : Star Wars en 10 minutes tu comprendras.
- Une création radiophonique sur France Info (il y a plusieurs épisodes).
Si vous ne l'avez pas encore vue, voici la bande annonce du nouvel épisode, The Force Awakens.
Pour conclure, je suis un fan de John Williams, et j’attends également impatiemment la nouvelle œuvre qu’il aura composé pour cet opus de Star Wars. Il y a tout un travail sur la musique et les sons qui nous transportent dans l'univers de Star Wars. C'est tout un imaginaire sonore. En attendant, voici un de ces thèmes les plus célèbres, conduit par lui même.
Je vais maintenant aller m’isoler sur Dagobah, en ermite, pour ne pas avoir connaissance de l’intrigue et des rebondissements de ce nouvel épisode.
J’espère n’avoir pas trop raconté de bêtises. Portez-vous bien et que la force soit avec vous.