Et pourtant elle tourne ! Pologne (2)

 

Peut-être êtes-vous impatient de lire un nouvel article, vous tournez en rond. Ces derniers jours j’ai travaillé, j’ai lu, j’ai réfléchi, j’ai écouté la radio. Face au fondamentalisme, la meilleure réponse c’est la pensée, c’est la philosophie qui sont beaucoup plus riches. Il y a quelques semaines, Joann Sfar définissait la philosophie à la radio, ce que je retranscris à peu près ici :

« La philosophie, ça sert à être en marche vers quelque chose, savoir appréhender le réel. C’est un mode de pensée qui consiste à dire qu’on est en discussion (dialectique). N’importe qui à le droit de parler, qu’il soit roi, religieux, laïque, et on va examiner ce qu’il dit. Quand on va être ému, content de ce qu’il a dit, on va avoir un éveil, il y a eu de la beauté et de l’intelligence, et en même temps, ça nous a fait avancer. On n’est pas sage pour autant, mais l’état de l’art à avancer. Les religieux pensent que certaines paroles sont sacrées, mais en enfants des grecs, ce qui nous semble sacré, c’est le vrai. Mais on ne tien pas le vrai, on marche vers. Un philosophe, un scientifique, passe son existence à faire de petites avancées. On a le sentiment d’être en mouvement. Le vrai, c’est ce qui est conforme avec le réel. On a besoin d’avoir quelque chose en commun, ce qu’on a en commun, c’est le réel. On a besoin de parler de quelque chose tous ensembles. On voit le monde, on va essayer de l’expliquer, on va essayer de le comprendre, le monde, c’est les objets, c’est aussi notre monde intérieur, nos idées, notre moral. Cheminer sur la même route, aller dans la même direction avec des opinions différentes, cela s’appelle chercher le vrai, mais cela ne veut pas dire qu’on va le trouver. »

Grand hall, Université Jagellonne

Réfectoire de l'Université

La science, c’est la philosophie du non, comme le disait Gaston Bachelard, c’est réfuter ou critiquer les théories admises jusqu’ici.

Parfois, il y a des découvertes scientifiques qui vont éclairer ou infirmer, contredire, une hypothèse philosophique ou un concept que l’on pensait connaître. Ces découvertes peuvent parfois révolutionner notre façon de se représenter le monde et l’univers, et nos relations aux autres.

Par exemple, un être humain qui sait que son espèce n’a cessé d’évoluer et que l’univers est vieux d’au moins 13,7 milliards d’années, pensera son être au monde autrement qu’un autre être humain, qui lui croit que les hommes ont été créés en seulement six jours et se trouvait déjà là au début de l’univers, il y a seulement 6000 ans.

L’université de Cracovie est célèbre pour avoir accueilli dans ses murs Copernic, l’un de ces révolutionnaires conceptuels. La révolution, c’est le changement, mais le mot a aussi un sens signifiant tourner.

Librairie du Collegium Maius

Il y a deux ans, j’avais commencé de lire un livre de Jean-Pierre Luminet, Le secret de Copernic. Il s’agit d’un roman historique, l’auteur a imaginé la vie de Copernic, à partir de ce qui est connu, dans le contexte historique de l’époque, les Chevaliers teutoniques livrent leurs derniers combats, les royaumes cherchent de nouvelles alliances, la Réforme commence à fissurer l’Eglise et il y a aussi les débats théologiques et scientifiques de l’époque. Bref, replacé l’homme et sa découverte dans sa relation avec les autres et avec son époque. Livre voyageur lui aussi, car emprunté à la bibliothèque de Chambéry et oublié dans une auberge de Marrakech, peut-être est-il de nouveau en ballade, en train de tourner quelque part.

Nicolas Copernic est né à Toruń, au bord de la mer Baltique dans le nord de la Pologne. Il a été étudiant à l’Université de Cracovie entre 1491 et 1495, puis à partir de 1496, à l’Université de Bologne, puis celle de Padoue, en Italie où il étudie la médecine, l’astronomie et le droit. Puis il retournera en Pologne en 1503 où il effectuera à la fois son rôle de chanoine et ses recherches en astronomie.

Copernic proposa une rupture radicale dans l’organisation du cosmos admise à son époque. Tout le monde pensait que la Terre était immobile au centre de l'univers et tous les astres tournant autour d’elle. C’est le géocentrisme. Copernic était culoté et montra les incohérences de ce système, bref que cela ne tournait pas rond, et proposa de mettre le Soleil au centre de tout : c'est l'héliocentrisme, la révolution copernicienne. Sans doute n’était-il pas le premier, des penseurs de la Grèce antique, puis Arabes, avaient suggéré l’idée, mais Copernic, plus tard défendu par Galilée, est resté dans l’Histoire jusqu’à nous. Toutefois, il a volontairement retardé la publication de ses idées, craignant que ça tourne au vinaigre en raison de la réaction hostile de l'Eglise qui se refuse à envisager la mobilité de la Terre autour du Soleil et n'acceptera cette idée qu'au XVIIIème siècle ! Dans la vie, il y a souvent des empêcheurs de tourner en rond.

Je cesse maintenant de tourner autour du pot, et je vais vous conter la suite de mes aventures en Pologne. A Cracovie, j’ai donc visité l’Université Jagellonne et le Collegium Maius. Fondée par le roi Casimir le Grand en 1364, c’est la deuxième université la plus ancienne en Europe centrale, après celle de Prague. Il s’agit d’une visite guidée, j’ai le choix entre une visite en anglais ou en polonais et finalement, nous ne sommes que deux pour la version anglaise !

chambre d'un professeur de l'Université

Dans la salle aux trésors sont exposés des objets historiques, des sceptres royaux, des instruments scientifiques, notamment astronomiques. La pièce maîtresse, c’est le Globus Jagellonicus, un globe terrestre daté de 1510. Il serait le plus ancien connu montrant l’Amérique avec la mention America noviter reperta. Fait étrange toutefois, l’Amérique n’est pas représentée à la bonne place.
Plusieurs petites pièces s’enchaînent, salles de classes, chambres des professeurs, ou d’étudiants. Je ne sais plus trop, j’essaie de prendre des photos et de suivre les explications en anglais en même temps. On ne sait pas où logeait Copernic, mais probablement pas à l’université car il était issu d’une famille favorisée.

Il y a une belle librairie, qui date du début du XVIe siècle, avec un plafond vouté, décoré d’un ciel bleu avec des nuages. La Stuba communis était la salle des professeurs, c’était aussi un réfectoire. Il y a un magnifique escalier. Le grand hall est une salle d’honneur décorée des portraits des meilleurs étudiants de l’université, dont Copernic. La pièce accueille encore aujourd’hui des réunions ou des cérémonies universitaires.

Cour du Collegium Maius

La grande cour intérieure du Collegium Maius est faite de brique rouge, l’architecture est de style renaissance. Dans la cour, il y a une horloge, et à certaines heures, il y a comme un manège musical avec des figurines animées qui font leur représentation. C’est un peu rigolo et ça attire les badauds.

Cracovie reste aujourd’hui une importante ville universitaire, il y a de nombreux étudiants qui animent la ville. Il parait que c’est aussi le bon endroit pour faire la fête, de nombreux bars et clubs occupent des caves voutées de la vieille ville. Faire la tournée des bars, peut être une allusion à la planète qui tourne, elle aussi. Déjà en son temps, il paraît que Copernic aimait bien aller au pub lors de sa vie étudiante.

Ruelle de Cracovie la nuit, une église et un bar

« Parmi toutes les découvertes et opinions, aucune n’a jamais exercé une plus grande influence sur l’esprit humain que la doctrine de Copernic. A peine le monde était-il devenu connu, comme rond et complet en lui-même, que nous devions renoncer à l’extraordinaire privilège d’en constituer le centre. Jamais sans doute il ne fut exigé davantage de l’humanité, car l’admettre implique de voir tant de choses s’évanouir en brume ou en fumée ! Qu’en était-il du paradis, de notre monde d’innocence, de piété et de poésie ? » (Goethe)

La terre tourne, le temps passe, la roue tourne. Goethe n’a pas eu l’opportunité de connaître une autre révolution qui viendra après sa mort, celle de Darwin.

porte près des remparts de Cracovie