L’appellation d’origine est-elle contrôlée ?

L’origine, la naissance de l’idée de cet article a eu lieu par un dimanche ensoleillé, lors de la visite du Temple de Yonghe ou Lama Temple, à Beijing. C’est en 1694 que débute la construction des bâtiments, sous la dynastie Qing, à l’origine pour abriter des eunuques. Mais à partir de 1722, l’endroit à commencer à se convertir en temple bouddhiste. Ainsi, au cours du temps, les bâtiments se sont métamorphosés, ils ont évolués.

Aujourd’hui, certains chinois viennent dans le temple pour y brûler de l’encens ou faire une prière devant la statue du Bouddha. Tandis que d’autres viennent simplement faire la visite et prendre des photos, un peu comme moi ! Les chinois ne sont pas le peuple le plus religieux du monde. Seulement 25% des chinois sont bouddhistes. Entre 2 et 3% sont musulmans, avec essentiellement les Ouïghours, population turcophone du Xinjiang, et les Huis, qui sont des chinois disséminés un peu partout dans le pays. De même, entre 2 et 3% des chinois sont chrétiens, majoritairement protestants, et seulement 1% pratiquerait le taoïsme en tant que religion. En réalité, 70% des chinois se disent athées. Néanmoins, les philosophies confucianistes et taoïstes ont une influence importante sur les pratiques et la culture des chinois.

Lama Temple

La conception du monde par les chinois peut expliquer en parti leur civilisation et leur histoire. La Chine était très en avance sur le reste du monde pendant l’antiquité et le moyen-âge, cela jusqu’au XVe siècle. Ensuite, la culture chinoise est restée riche mais elle a plutôt stagné, notamment sur le plan scientifique et technique, au moment même ou l'Europe s'est réveillée avec la Renaissance, ce qui changera la face du monde...
Il n’y a pas vraiment de récits originels, de mythes cosmologiques dans la mythologie chinoise (il existe le mythe de Pangu, né d’un œuf, mais il est apparu tardivement dans la mythologie, et vraisemblablement inspiré par des mythes de civilisations étrangères). En Chine, il n’y a pas de divinité créatrice, pas d’origine (le mot origine lui-même, au sens où l’on peut l’entendre, n’existe pas en chinois*). Le monde n’a pas été créé. En Europe, la tradition grecque et judéo-chrétienne dit tout autre chose : une divinité a créé le monde tel que nous le voyons. Galilée, tout comme Newton plus tard, était convaincu qu’il existait un dieu qui avait créé l’univers, un espèce d’architecte. Alors il s’est mis à chercher le langage de dieu, les mathématiques. Les musulmans ont fait de même à leur apogée, les mathématiques expliquent l’ordre et l’harmonie du monde engendré par dieu. Paradoxalement, la religion a permis des avancés scientifiques, parfois malgré elle ! Les chinois n’ont jamais eu cette idée qu’il pouvait exister un dieu créateur, qui pourrait donner un langage commun à toutes les sciences. Les chinois, bien qu’ils prennent le Ciel pour la puissance cosmique suprême, l’envisagent au sein même de la nature, immanente et non transcendante. Autrement dit, il n’y a pas d’ordonnateur. Ainsi, les chinois ont échoué à énoncer des lois physiques et des lois naturelles.

Les chinois ont échoués à énoncer des lois physiques et naturelles car ils passaient trop de temps sur leurs téléphones portables...

Avec les nouvelles découvertes scientifiques du XXe siècle, entre la mécanique quantique, le principe d’incertitude de Heisenberg et la théorie du chaos, notre vision du monde est plus indéterminée, holistique, faisant appel à la contingence et au hasard. Déjà Darwin, avec sa révolution conceptuelle, avait changé notre relation au vivant et montré le rôle de l’aléatoire dans l'évolution. L’homme fait partie de la nature, au même titre que les autres animaux, il n’y a pas de hiérarchie. Comme le dit Jean-Claude Ameisen, « l’ensemble de l’univers, y compris l’univers vivant qui nous entoure et nous inclut, est émergence, devenir, transformation perpétuelle, métamorphoses. Il s’est construit et a évolué à partir d’interactions entre les composants élémentaires de la matière, d’un mélange de contingences et de contraintes, de relations de causalité. Il a émergé en dehors de tout projet, de toute intentionnalité et de toute finalité ». Ainsi, aujourd’hui, la pensée orientale, et son approche holistique de l’univers, parait plus pertinente pour comprendre les théories scientifiques, avec par exemple l’idée d’une transformation incessante de l’univers. Tout comme le monde du vivant, l’Univers est en évolution perpétuelle, il a une histoire.

Les chinois ont échoués à énoncer des lois physiques et naturelles car ils passaient tout leur temps à chanter...

Les cosmogonies anciennes, tant en Afrique, en Amérique ou en Asie expliquent toujours l’univers de façon immanente : il existait quelque chose avant la création de l’univers (un océan, une matière informe, un chaos primordial, un prémonde obscur). À un moment donné, le chaos devient ordonné, des structures apparaissent. À l’inverse, les trois monothéismes ont imaginé que l’origine est transcendante. Un être transcendant est à l’origine de l’univers mais ne fait pas parti de l’univers. Selon moi, c’est un peu une paresse intellectuelle, on ne cherche pas à savoir qui a créé cet être transcendant.

Je cite Étienne Klein : « Notre langage est un langage ontologique, il ne désigne que des choses, des étangs, et se trouve incapable de décrire comment ces étangs sont advenus, pour nous, la question d’origine devient à la fois inévitable et impossible. La langue chinoise ne décrit que des phases, des processus, des évolutions continues, non des choses, de sorte que pour elle, la question de l’origine des choses ne se pose pas. […] La vie et le monde sont en transition continue, en perpétuel devenir. Le changement est la vie même. En Occident, le parti pris de l’être nous empêche de penser la transition ».

Je vais maintenant vous montrer en quoi le monothéisme interfère encore dans notre vision du monde en occident. Vous avez sans doute entendu parler cette semaine de la détection des ondes gravitationnelles émises après le big bang. Mais qu’est ce que le big bang ? Est-ce l’origine de l’univers ? L’univers a-t-il une origine ? A propos de ces fameuses ondes gravitationnelles, je lis dans la presse généraliste : « En quoi nous renseignent-elles sur la création de l'univers? » « Des physiciens ont observé les premières secousses marquant la naissance de l'Univers ». En Europe, nombreux sont ceux qui pensent que le Big Bang est le commencement de toute chose. Or, ce n’est absolument pas ce que dit la physique. Le Big Bang n’est pas l’origine de tout, il s’agit simplement d’une phase par laquelle l’Univers est passé, et qui est responsable de l’inflation que nous observons aujourd’hui. Autrement dit, il y avait quelque chose avant. Comme le dit Étienne Klein, « Décrire l’origine de l’univers c’est décrire qu’est ce qui a fait que l’univers est apparu. Pour le savoir, il faut s’appuyer sur ce qui existait avant l’univers. L’univers apparaît comme l’achèvement d’une histoire qui l’a précédé. Donc il n’a pas d’origine. » Une dernière pour conclure « Est-ce que l'origine d'une chose fait ou non partie de la chose dont elle est l'origine ? ».

*Une traduction du mot origine en chinois peut être 本源 Běnyuán. 本 correspond au pictogramme de l’arbre, (木, mù), auquel on rajoute un trait horizontal à la base, pour montrer la racine de l’arbre. On retrouve le pictogramme dans 日本, rì běn, le Japon, littéralement, l’origine du Soleil (日 signifie le soleil, mais également jour). 源 signifie source.

Ces livres m’ont aidé à rédiger cet article : Le monde s’est-il créé tout seul ? (2008), qui fait intervenir plusieurs chercheurs ayant une opinion divergente sur le sujet. Discours sur l'origine de l'univers (2012) de Étienne Klein, Dans la Lumière et les Ombres. Darwin et le bouleversement du monde (2011) de Jean-Claude Ameisen. Sur France culture, deux émissions de Étienne Klein, l’univers a-t-il connu un instant zéro ?  ici et ici.